En route vers l’Île des Chats !

Des centaines de chats vivent en harmonie sur une île paradisiaque. Toutefois, cette quiétude est sur le point de s’effondrer car le cruel Vesh vogue vers l’Impasse du Miaulement, bien décidé à détruire l’île et le reste du monde. Le destin des félidés est entre vos mains.

En juin 2019, le créateur et designer Frank West, fondateur de the City of Games, lance sa troisième campagne de financement sur la plateforme Kickstarter pour The Isle of Cats. Après the City of Kings qui proposait une aventure coopérative dense et stratégique, après Vadoran Gardens, jeu familial de placement de tuiles, Frank West propose une nouvelle expérience ludique dans le même univers fantastique. A cette occasion, il explore de nouvelles mécaniques pour élaborer un jeu qu’il qualifie d’ « intermédiaire ». Le succès est au rendez-vous puisque le projet est financé à hauteur de 467 847 dollars. Un peu moins d’un an après, le jeu est localisé par l’éditeur Lucky Duck Games et vendu en pré-commande sur Gameontabletop. C’est grâce à cette campagne que j’ai découvert l’Île des Chats. Dans le courant du mois d’avril, j’ai pu lire de très nombreux articles faisant la promotion du jeu, ce qui a à la fois suscité ma curiosité et, il faut l’avouer, ma défiance : s’agissait-il d’une stratégie commerciale offensive de l’éditeur ou les multiples revues témoignaient-elles simplement de l’engouement pour une nouvelle pépite ludique ? Le design du jeu, la promesse d’une exploitation originale des polyominos et la possibilité exclusive d’acquérir pendant la campagne Gameontabletop l’extension « Derniers Arrivants » permettant de jouer à 5 et 6 joueurs, m’ont fait franchir le cap de la précommande. L’exclu était indubitablement une belle carte à abattre de la part de Lucky Duck Games mais après avoir longuement testé l’Île des Chats, je dois avouer que le jeu n’a pas volé sa réputation et ses avis très positifs.

Un matériel chat-oyant

De la quantité et de la qualité

Avant même d’ouvrir la boîte de l’Île des Chats, le poids de celle-ci annonce son contenu : le jeu offre un matériel très complet, composé de nombreuses tuiles polyominos s’imbriquant parfaitement les unes dans les autres et suffisamment robustes pour résister aux manipulations des ludophiles, de figurines en bois, de jetons en carton et de plateaux bien épais et d’un impressionnant paquet de cartes. La qualité est au rendez-vous et justifie à mon sens le prix du jeu, fixé à 49,99 euros. L’extension « Derniers Arrivants » (vendue 24,99 euros) ajoute de nouvelles tuiles et de nouvelles cartes afin de conserver l’équilibre du jeu. Le pack Kickstarter permettait d’acquérir, à la place de certains jetons en carton, des tokens en bois, ainsi que des cartes et figurines exclusives : l’ensemble est magnifique mais je trouve déjà la version standard d’excellente facture et très agréable à manipuler.

La nuit, tous les chats sont gris… mais pas dans l’Île des Chats !
Une aide à la lecture des couleurs dans l'Île des Chats de Frank West localisé par Lucky Duck Games
Une aide à la lecture des couleurs appréciable

Le jeu se démarque par son identité graphique bien affirmée : on aime ou on n’aime pas le parti-pris purement esthétique qui s’affiche dès le couvercle de la boîte, mais on doit dans tous les cas saluer le travail de diversité des illustrations conçues par Dragolisco. L’île imaginée par Frank West est habitée par cinq espèces de chats fantastiques (à laquelle s’ajoute une sixième, légendaire) : les émeraudes cristaux, les vandermils étoilés, les chamailleurs bleus, les oranges mhoxxites, les teruves. Chaque espèce est représentée à l’aide d’une couleur vive, verte, violette, bleue, orange ou rouge. Les contrastes sont importants et le jeu n’a posé aucun problème à l’un de nos amis daltoniens. Malgré cela, on notera le bel effort d’édition qui consiste à glisser quelques cartes d’aide à la lecture des couleurs en distinguant par exemple les chats par la forme de leur queue. Mais les chats ne diffèrent pas uniquement par leur appendice caudal ou leur teinte ! L’illustrateur a donné à chaque race de chats un caractère unique et au sein d’une même espèce, les dessins sont très variés car les représentations s’adaptent aux polyominos : les contorsions des chats ont inspiré Frank West pour cette mécanique et Dragolisco a su jouer avec les formes pour mettre en image des chats assoupis, joueurs ou encore arrogants. On s’amuse à examiner ces chats sous toutes les coutures. Un grand bravo à Dragolisco, d’autant plus que les chats n’étaient pas du tout sa spécialité – lorsqu’on lit les échanges sur la page DeviantArt de l’artiste, on apprend qu’il avait un jour affirmé pouvoir donner mille et une apparences aux dragons mais qu’un chat resterait un chat ! On sent toutefois toujours bien la patte de l’amateur de fantasy en regardant les chats du jeu : l’élégance qui ressort du dessin leur donne une allure presque mystique. Enfin, l’ensemble du matériel n’est pas en reste du point de vue de la diversité illustrative : chaque joueur dispose d’un plateau personnel légèrement différent. Regardez bien la bête qui rode auprès de votre bateau : ce n’est pas la même que celle de votre voisin !

Le matériel au service de la clarté du jeu

L’Île des Chats n’est pas simplement beau : les choix esthétiques sont aussi pratiques et guident le joueur dans sa découverte des mécaniques du jeu. Chaque carte possède un bord coloré et le code couleur permet instantanément de connaître la catégorie de la carte (en cas de doutes, celle-ci est rappelée par du texte en bas à gauche). En outre, chaque plateau individuel comporte un rappel de l’ordre du tour et du scoring, ce qui facilite l’explication et l’assimilation des règles. L’iconographie est efficace et discrète lorsque l’information n’est plus essentielle en cours de partie : on pensera par exemple au petit coffre permettant de distinguer les cartes de base et celles de l’extension ou au symbole de chat rouge ou vert sur les plateaux qui indique la face à choisir en fonction du mode de jeu souhaité.

Code couleur des cartes de l'Île des Chats de Frank West localisé par Lucky Duck Games
Un code couleur efficace pour identifier les différentes cartes : tradition, sauvetage, trésors, action (à celles-ci s’ajoutent les Oshax marron)
Un sans-faute éditorial ?

Presque ! Frank West et son équipe ont fait un très beau travail d’édition. Saluons aussi l’initiative de Lucky Duck Games de proposer à la vente un kit de traduction pour les acquéreurs de la VO. Quelques coquilles se sont toutefois glissées dans la règle et sur certaines cartes : il me semble notamment avoir repéré une confusion entre « tuile » et « carte » dans la règle solo sur le remplissage des champs pour les trésors. Au-delà de petites erreurs de ce type, qui peuvent passer à travers les mailles de la relecture lorsqu’il y a autant de texte, on regrettera une terminologie parfois peu claire. En français, au moins, vous pourrez rencontrer deux termes différents pour désigner la même chose (« solitaire » et « isolé »). Si la définition indiquée en petits caractères sur la carte permet de savoir immédiatement ce que l’on doit comprendre, il aurait été plus cohérent de choisir un seul adjectif. La notion de « chat de couleur unique » pose aussi des problèmes de compréhension : il faut en fait prendre en compte les couleurs de chat présentes sur le plateau. La formulation nous a paru alambiquée. Enfin, pour chipoter encore, le matériel est superbe mais on pourra regretter l’absence d’un rangement dans la boîte et la quantité de sachets plastiques nécessaires au tri des différents éléments.

Un thème appliqué jusqu’au bout des griffes ?

Un univers bien rendu…
Plateau individuel en situation de l'Île des Chats de Frank West localisé par Lucky Duck Games
Les chats embarquent sur nos bateaux : ils se réunissent en familles et vous débarassent volontiers des rats.

Prêts à sauver des chats ? Est-ce qu’on y croit vraiment ? Le thème est-il immersif ? La thématisation est réussie grâce à de nombreux détails : pour ramener les chats sur votre bateau, vous aurez besoin de les attirer grâce à des poissons et de les mettre dans un panier. L’histoire de l’Oshax, ce chat légendaire et amical qui cherche une nouvelle famille, est intéressante pour justifier la mécanique de « joker ». J’ai adoré le nom des cartes qui apporte un vrai plus à l’action décrite : la tradition « arbre généalogique » rapporte 10 points si vous possédez la plus grande famille de chats, vous pourrez secourir des chats grâce au « paquetage du second », très efficace, grâce à sa « casquette », beaucoup moins fonctionnelle, ou encore grâce à une « marmite à tourteau ». Les noms, en plus d’être souvent drôles, sont tous différents et viennent raconter une histoire. Les rats que vous devez recouvrir sur le bateau nous rappellent pourquoi les chats étaient tant appréciés par les pêcheurs. D’autre part, la règle anticipe parfois certaines réserves sur la thématisation pour donner du sens aux choix effectués : placer des chats sur un mur, pourquoi pas ? On nous explique que la tuile chat ne représente pas vraiment la position de l’animal mais l’espace dont il aura besoin pendant le voyage, son territoire en somme.

… mais qui rencontre ses limites devant la mécanique

Malgré ces efforts pour renforcer l’immersion, l’Île des Chats ne parvient pas toujours à faire oublier sa mécanique. Celle-ci saute aux yeux par exemple dans la séparation artificielle des chats en deux champs puisqu’il faut trois poissons pour attirer les chats de la partie gauche de l’île alors que ceux de la partie droite sont plus exigeants et en demandent cinq pour se glisser dans votre panier. On n’arrive pas vraiment à oublier la partie gestion de ressources ! Malheureusement, c’est surtout dans le « pitch » général que l’Île des Chats peine à convaincre. Outre le fait que le sauvetage des chats aurait mieux collé à une thématique coopérative (une variante possible ?), la menace de Vesh manque de profondeur. Frank West la justifie par sa volonté d’intégrer son jeu au lore de The City of Kings, comme il l’avait fait pour Vadoran Gardens. Soit, ces chats aux allures étranges, tirés d’un univers fantasy, donnent l’impression de partir vraiment à l’aventure. Mais le joueur qui découvre l’oeuvre de Frank West par l’Île des Chats peine à croire en ce méchant qui veut détruire les félins. Je pense que le jeu aurait gagné en intérêt en se référant davantage à notre monde, surtout que des îles aux chats existent réellement et qu’elles sont menacées (jetez un oeil à la fin de l’article si vous voulez les découvrir). J’aurais préféré que le sauvetage de chats soit justifié par un déséquilibre dans la biodiversité ou par une montée des eaux afin de sensibiliser aussi aux dérèglements climatiques. J’imagine que tel n’était pas du tout le propos du jeu mais j’y aurais cru bien davantage. De la même manière, j’avoue avoir été sceptique devant le scénario du mode solo qui nous fait affronter notre soeur qui cherche à récupérer toute la gloire du sauvetage. La mécanique colle à cette histoire mais celle-ci reste, à mon sens, capillotractée.

Un puzzle de mécaniques bien construit

Accessibilité et profondeur
Les polyominos : au croisement de plusieurs mécaniques

L’Île des Chats est un jeu de polyominos, à la Patchwork. La version familiale du jeu s’appuie essentiellement sur cette mécanique qui le rend très abordable et permet de faire jouer les enfants (la boîte indique à partir de 8 ans mais je pense que vous pouvez commencer plus jeune, surtout si vos petits chats sont joueurs). En revanche, dans sa version normale, le jeu associe aux polyominos plusieurs autres mécaniques qui s’imbriquent parfaitement les unes ou autres : le draft, la gestion de ressources, la gestion de main, la collection. On a là une vraie richesse qui donne envie de rejouer pour améliorer sa propre optimisation des différents paramètres. L’Île des Chats acquiert une certaine complexité car les choix à faire se situent à plusieurs niveaux : on aimerait remplir le bateau de chats mais en achetant des cartes, nécessaires au sauvetage et pouvant rapporter d’autres avantages substantiels, on se prive d’une partie des poissons grâce auxquels on récupère les félins.

Mais au fait, comment on joue ? Cliquez pour découvrir les différentes règles.

Règles de la version normale

Vous voici embarqués dans une grande opération de sauvetage ! Pour récupérer le plus de chats possibles avant l’arrivée de Vesh, qui aura lieu à la fin du cinquième jour, vous aurez besoin d’un bateau représenté par un plateau individuel, disposé sur la face avec le chat rouge visible et d’un panier permanent matérialisé sous la forme d’un jeton.

Chaque jour (manche) se déroule de la même façon.

Tout d’abord, les chats envahissent les champs : piochez les dans le sac de jute pour répartissez-les dans les deux champs de part et d’autre du plateau « île ». Dans chacun des champs, posez deux tuiles par joueur autour de la table (soit huit chats en tout à deux, par exemple). Il se peut que vous mettiez la main pendant cette phase sur un trésor rare, particulièrement brillant : placez le sous le plateau « île », votre exploration vous permettra peut-être de vous en emparer ultérieurement.

Ensuite, les vaillants aventuriers doivent relever les filets de pêche : les poissons obtenus (20 au début de chaque journée) vous permettront de partir en exploration le ventre plein et d’appâter les matous !

Commence alors la troisième phase, celle de l’exploration. Distribuez sept cartes à chaque joueur. Après avoir regardé vos cartes, choisissez en deux avant de passer votre main à votre voisin de gauche ou de droite selon la journée que vous vous apprêtez à débuter. Continuez ainsi jusqu’à récupérer la dernière carte de la phase de draft. Mais attention, pour aller au bout de votre exploration, il faudra consommer du poisson : chaque carte indique en haut à gauche un chiffre qui représente le nombre de poissons à payer pour ajouter définitivement votre découverte à votre main. Vous allez donc choisir dans les sept cartes que vous avez obtenues celles que vous souhaitez garder et celles que vous allez défausser.

Quand tous les joueurs ont terminé leur exploration, vous devrez poser les cartes bleues que vous avez en main : ce sont les traditions, d’anciens parchemins qui vous permettront d’obtenir encore plus de gloire dans votre opération de sauvetage. Les traditions sont des objectifs : vous marquerez des points en fin de partie pour celles que vous avez accomplies. Mais méfiance, certaines traditions sont personnelles – mettez les à côté de votre plateau face cachée – alors que d’autres sont publiques et tous les joueurs pourront s’en servir pour gagner des points.

Le jour avance : il est temps de partir sauver vos chats. Cependant, vous ne disposez que d’un panier qui vous permettra de ne ramener qu’un seul chat sur le bateau. C’est le moment de choisir les cartes vertes que vous souhaitez poser pour vous aider à récupérer davantage d’individus : sur les cartes sauvetage, vous trouverez des paniers supplémentaires (qui ne vous serviront que ce jour-là) mais aussi des bottes pour représenter votre rapidité ce qui déterminera l’ordre du tour. Le joueur le plus rapide aura le privilège de choisir son premier chat avant les autres. Vous pouvez ensuite choisir à tour de rôle un chat, en l’attirant avec le nombre de poissons nécessaires (3 ou 5 selon le champ dans lequel se trouve l’animal désiré), et ce, autant de fois que vous pouvez le faire. Dès que vous avez récupéré un chat, sortez le de son panier et trouvez lui une place confortable sur le bateau. Pensez bien que les chats sont des animaux sociables qui vont rester les uns près des autres : après avoir placé votre premier chat, les suivants devront être placés de manière adjacente à l’un de leur congénère. Regardez bien où vous installez votre chat : il pourra en profiter pour manger un rat présent sur votre bateau ou débloquer un trésor commun en se couchant sur un parchemin de sa couleur.

Enfin, vous pourrez remplir votre cale de trésors grâce aux cartes jaunes que vous jouerez ou encore découvrir un Oshax, ce chat légendaire qui viendra rejoindre une famille de chats déjà présente sur votre bâtiment.

Toutes les manches se déroulent ainsi mais vous pouvez aussi jouer n’importe quand les cartes action rouges qui vous apporteront un avantage. La journée terminée, les chats non attrapés se sauvent : défaussez les.

A la fin du cinquième jour, il est temps de lever l’ancre avant l’arrivée de Vesh ! Comparez vos scores : vous marquerez des points si vous avez fait des familles de chats mais aussi pour vos trésors rares et vos traditions réussies. En revanche, vous en perdrez si vous avez encore des rats sur le navire ou si vous revenez la coque vide en n’ayant pas rempli toutes les pièces.

Variante familiale

Dans cette version du jeu, pas de poisson et donc pas de cartes à jouer et à payer. Pas de panier non plus : vous embarquerez vos chats à la force de vos bras !

Distribuez trois cartes traditions solo à chaque joueur qui en choisira deux : ce sont ses objectifs de fin de partie.

Pour chacun des jours, dans l’ordre du tour (qui changera à chaque manche), chacun choisit un chat qu’il place sur son bateau. On répète ensuite l’opération jusqu’à ce que tous les champs soient vides ou que tout le monde ait passé volontairement.

Au cinquième jour, on compte les points en suivant les règles de la version normale.

Variante solo

Dans cette version du jeu, vous affronterez votre soeur qui compte bien profiter de l’honneur qui vous revient pour le sauvetage des chats. Elle va créer le chaos, vous empêchant de récupérer certains animaux, et récoltera en plus les fruits de votre travail !

Dans ce mode de jeu, vous n’utilisez que votre plateau individuel. Comme dans une partie à deux, vous placerez quatre chats par champ et récupérerez au début de votre tour 20 poissons. Pour reproduire une phase de draft, vous piocherez cinq cartes, en choisirez trois puis renouvelerez l’opération avant de prendre la première carte disponible sur le dessus du paquet pour compléter votre main. Le sauvetage des chats se déroule de la manière habituelle pour vous.

Pour l’automa solo, vous aurez cinq cartes couleurs. Vous en révélerez une au début de chaque manche. Vous tirerez à la mise en place également trois cartes traditions solo (vous pourrez plus tard en ajouter pour corser la difficulté). Surprise ! A la fin de la partie, c’est avec ce que vous avez mis sur votre bateau que votre soeur va marquer des points : les traditions seront résolues en vérifiant votre navire et votre soeur marquera aussi 5 points par chat de la première couleur révélée, 4 points par chat de la seconde couleur, etc. En plus de cela, votre soeur dispose de cartes panier solo. Au début de la phase de sauvetage, après avoir choisi les cartes vertes que vous alliez jouer, révélez la première carte de la pioche panier de la soeur : le nombre de panier apparaissant sur le carte indique le nombre de sauvetages qu’elle fera ce tour-ci. S’il y a quatre paniers, révélez encore trois cartes pour avoir un total de quatre cartes visibles devant vos yeux. Le nombre de bottes présent sur la première carte sera à comparer avec les vôtres pour déterminer l’ordre du tour. Sur chaque carte panier solo, on vous indique ce que votre soeur va défausser : par exemple chat 2, chat 6, oshax 3, trésor rare 1 (vous aurez soin à la mise en place de faire une ligne bien nette pour appliquer la numérotation). A son tour, la soeur va donc vous priver définitivement d’un chat, d’un oshax ou d’un trésor !

A la fin de la partie, vous marquez vos points comme dans une partie normale. La soeur gagne des points pour les couleurs de chat et les traditions solo uniquement.

Une gentille compétition

Soyons claire, vous n’irez pas voler les chats des autres sur leur bateau ! La compétition pour le sauvetage des chats est ailleurs. Il n’y a pas réellement d’affrontement mais l’interaction est bien présente grâce à la phase de draft et à celle du sauvetage des chats puisque celle-ci se fait au tour par tour et vous aurez donc parfois la désagréable surprise de voir le félin tant convoité embarquer sur le navire de l’adversaire. Le blocage existe surtout dans l’exploration grâce à l’excellente idée du draft dans lequel vous choisirez non pas une mais deux cartes à la fois. Cette idée est particulièrement bien pensée car elle limite la frustration de ne pas pouvoir tout faire ou tout prendre mais aussi parce qu’elle encourage le contre-draft. En effet, comme vous n’allez pas garder toutes les cartes issues du draft, vous pouvez en prendre certaines pour les défausser et éviter à vos adversaires de s’en emparer. En un tour de draft, vous pouvez à la fois avancer dans votre propre jeu et gêner les autres. Le blocage existe aussi dans la phase de sauvetage mais de manière plus involontaire puisque chacun va avant tout chercher le chat important pour lui. Les traditions publiques invitent également à regarder le jeu des autres et suscitent une rivalité autour de certaines tuiles. Je dois dire que j’aime vraiment ce niveau d’interaction, pas trop offensive, car sans être tout seul dans notre coin, on peut vraiment aller au bout du challenge personnel.

Un sauvetage hasardeux ?

On le sait bien : qui dit cartes, qui dit pioche, dit forcément hasard. L’Île des Chats, avec ses 150 cartes « découverte » du jeu de base, n’échappe pas à la règle. Certaines cartes sont donc très circonstancielles, notamment les traditions. En effet, celles-ci orientent nos décisions et quelques-unes doivent vraiment être récupérées en début de partie pour être intéressantes sous peine de ne pouvoir les réaliser ensuite (je pense notamment aux traditions demandant de laisser des pièces entièrement vides). J’aurais aimé que la pioche contienne un peu plus d’Oshax : je crois que cela aurait pu créer une course entre les joueurs qui aurait encore renforcé l’interaction. Toutefois, le draft contrebalance le hasard des cartes et il est toujours possible de s’en sortir avec la main construite.

Un jeu rythmé, pour 1 à 6 joueurs

Un des grands points forts de l’Île des Chats est sa fluidité : la dynamique vient de l’organisation des phases d’action en simultanée. Les joueurs n’attendent jamais très longtemps puisque même la phase de sauvetage les sollicite régulièrement grâce à la sélection et au placement des chats au tour par tour. A deux, la partie est rapide, aux alentours de 45 minutes. A quatre ou plus (avec l’extension « Derniers Arrivants » permettant de jouer jusqu’à six joueurs), la partie s’allonge forcément mais le rythme est toujours bon avec un temps d’attente limité.

On y rejoue ?

Des parties et des stratégies très variées

Le jeu offre une rejouabilité importante grâce à l’imbrication des différentes mécaniques. On ne peut pas tout faire et après les premières parties, on a envie d’essayer d’autres façons de jouer et de scorer. Cette profondeur, revendiquée par l’auteur Frank West (lui-même définit son jeu comme « easy to learn, hard to master »), peut dérouter les néophytes, mais c’est vraiment ce qui m’a séduit dans l’Île des Chats. Au début, on pense que prendre un maximum de chats sera le plus payant mais il y a d’autres stratégies possibles, basées sur les trésors ou sur les traditions. C’est véritablement un jeu à explorer et à apprivoiser, à l’instar de l’île et des chats qui la peuplent.

Une rejouabilité pensée par l’auteur et l’éditeur
Trois modes de jeux dans l'Île des Chats de Frank West localisé par Lucky Duck Games
Trois modes de jeux, bien identifiés par les cartes : normal, solo et famille.

Les différents modes proposés ne sont pas du tout artificiels mais sont autant de façon de prendre du plaisir à jouer à l’Île des Chats. Nous avons commencé à jouer en utilisant la version normale et je dois bien reconnaître avoir eu quelques réticences ensuite à la lecture de la règle familiale. L’ensemble me semblait manquer de profondeur, privé de la gestion de ressources et des cartes : cependant, j’ai été étonnée de la concentration et de la planification exigées par ce mode pour gérer l’espace du bateau. Les problèmes posés par le jeu sont alors différents puisque vous allez nettement plus remplir le navire et les polyominos, avec leurs formes étranges, créent le challenge. La mécanique du puzzle, isolée des autres, gagne en complexité dans cette version.

Le mode solo, au-delà de la thématisation à mon sens ratée, est mécaniquement très riche. Il nous met face à des choix draconiens puisqu’il faut gérer son propre jeu tout en veillant à ne pas donner trop de points à la soeur. La découverte des cartes couleur au fur et à mesure de la partie impose de s’adapter au fil des manches. En outre, le jeu prévoit différents niveaux de difficulté pour renouveller le défi.

J’émettrai cependant un bémol car j’aurais aimé que l’extension « Derniers Arrivants » impacte la rejouabilité, avec l’ajout de cartes par exemple. Elle permet en fait seulement de jouer à 5 ou 6 joueurs en rajoutant le matériel nécessaire : en même temps, elle est vendue comme telle et c’est la raison pour laquelle je l’ai achetée puisque notre configuration principale est à 5. Un petit twist aurait été appréciable. Personnellement, suite au test du mode solo, je me suis dit qu’il aurait été vraiment intéressant d’avoir des cartes traditions scorant à la manière de la soeur du solo, impliquant donc de marquer des points en fonction du bateau de notre voisin : cela aurait considérablement renforcé l’interaction mais peut-être le jeu gravirait-il alors un nouveau niveau de complexité, le rendant moins accessible.

Conclusion

L’Île des Chats est un vrai coup de coeur pour moi : s’il m’a séduit esthétiquement dans un premier temps, il a su montrer aussi toute sa richesse mécanique. J’ai ressenti un vrai plaisir de jeu et l’envie d’y revenir, de tester encore et encore de nouvelles stratégies, en variant les modes. Le jeu sait se montrer accessible et vous pourrez le sortir dans sa version familiale avec des gens moins habitués à jouer ou lorsque vous souhaiterez des parties plus rapides. Les amateurs de jeux experts le trouveront sans doute un peu trop léger et l’interaction non offensive refroidira sans doute ceux qui souhaitent plus d’échanges et impacter directement le jeu des autres. Il faut aimer l’optimisation personnelle. Enfin, faut-il aimer les chats pour jouer à l’Île des Chats ? On verra certains grimacer devant ces matagots mais chez nous, même les allergiques aux chats rejoignent la table !

En dehors de la boîte : les « vraies » îles des chats japonaises

L’île des chats existe ! Ou plutôt, les îles des chats, si on veut être précis. Au Japon, une quinzaine d’îles appelées « Nekojima » abritent des populations de chats jusqu’à six fois plus nombreuses que les humains.

Qu’il s’agisse de l’île de Tashirojima, du l’îlot d’Aoshima ou encore d’Umashima, l’histoire est la même : les habitants de ces îles, essentiellement des pêcheurs, ont introduit les félins sur leur territoire au cours du XVIIIème siècle pour manger les rats qui se nourrissaient des vers à soie utilisés pour la production de filets de pêche. Le chat est devenu un vrai symbole de ces îles et même un porte-bonheur pour les habitants qui s’en occupent et leur ont parfois dédié des sanctuaires. Les chats se sont multipliés dans cet environnement propice où les chiens sont interdits alors même que la population humaine vieillissait et diminuait.

C’est donc un étrange phénomène au Japon qui attire les touristes et dont on prend soin : ainsi, l’île de Tashirojima, située près de l’épicentre du tremblement de terre survenu en 2011 au large de l’archipel japonais, a été presqu’entièrement submergée par les vagues; la population humaine et féline a miraculeusement été épargnée mais l’île est restée coupée du monde pendant plusieurs semaines; elle a alors été ravitaillée par l’armée américaine en nourriture… et en croquettes ! Un court métrage d’animation réalisé par Hideaki Obha, Neko No Sumu Shima, raconte le tsunami du point de vue des chats et montre les chatons qui s’entraident pour survivre.

Malheureusement, ces animaux ont besoin des Hommes pour perdurer sur ces îles et ils sont directement menacés par leur propre surpopulation et par la disparition des habitants qui rejoignent des îles plus grandes pour travailler. Les villages déserts, les bâtiments abandonnés sont laissés aux félins mais il n’y a alors plus personne pour prendre soin des chats, plus d’activité de pêche pour les nourrir et plus de vétérinaire pour soigner les maladies bénignes qui finissent pas dégénérer ou les plaies dues aux combats fréquents. Toutefois, le Japon cherche encore à préserver ces îles aux chats et n’a pas dit son dernier mot face à leur disparition programmée : Tokonoshima, par exemple, a mis en place un programme pour capturer les chats, les soigner et les stériliser, afin de les protéger.

Les chats de l’île d’Aoshima. Crédit photo : AFP/KAZOYUKI ONO (novembre 2015)

Sources et sites consultés pour cet article :

Interviews de Frank West :
https://www.inquisitivemeeple.com/journey-with-frank-west-to-the-isle-of-cats/
https://www.diagonalmove.com/interview-frank-west-designer-of-the-isle-of-cats/
Page DeviantArt de Dragolisco :
https://www.deviantart.com/dragolisco/art/The-Isle-of-Cats-board-game-803299489
Page Kickstarter :
https://www.kickstarter.com/projects/tcokgame/the-isle-of-cats?lang=fr
Page Gameontabletop :
https://www.gameontabletop.com/cf339/l-ile-des-chats-en-version-francaise.html
Page de l’éditeur français LuckyDuckGames :
https://luckyduckgames.com/fr
Page The City of Games de Frank West :
http://thecityofkings.com/>
Articles sur les îles des chats japonaises :
https://www.courrierinternational.com/article/animaux-au-japon-le-mystere-de-lile-aux-chats-bientot-elucide
https://generationvoyage.fr/tashirojima-japon-ile-chats/
https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/59591/reader/reader.html#!preferred/1/package/59591/pub/85762/page/7
http://www.lejournalinternational.info/tashirojima-a-remarkable-density-of-kitties/#:~:text=L’%C3%AEle%20de%20Tashirojima%20%C3%A9tait,grande%20partie%20par%20les%20p%C3%AAcheurs
https://www.20minutes.fr/voyage/2531667-20190603-l-ile-d-aoshima-ou-le-territoire-des-chats
http://japanization.org/les-iles-aux-chats-japonaises-sont-menacees/

Merci de m’avoir lue, j’ai été ravie de prendre ce temps pour vous présenter ce jeu, j’espère vous retrouver pour échanger en commentaire !

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5 réflexions au sujet de « En route vers l’Île des Chats ! »

  1. Merci pour cet article très fouillé à propos de ce jeu qui me laisse songeuse. Je me demandais en effet s’il n’était pas pris dans un effet de mode et pour tout avouer, je n’adhère pas aux illustrations… mais grâce à la description tres précise des sensations de jeu, j’ai pu m’en faire une idée plus juste ! Merci 🙂

    Aimé par 1 personne

    1. Ravie que l’article t’ait un peu éclairé, merci beaucoup pour ton commentaire ! Pour les illustrations, je pense que c’est quitte ou double, on aime ou on n’aime pas 🙂 Mais même si j’ai tendance à repérer un jeu pour son matériel, je sais que ça peut donner une impression faussée (et en y réfléchissant, j’ai beaucoup de jeux que je trouve « moches » mais que j’aime beaucoup… Coucou Terraforming Mars 😉 )

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