Derniers pigments sur la paroi…

L’aventure se termine. Il est temps de refermer la boîte et de vous dire ce qu’on a pensé de Paleo mais aussi de vous proposer un prolongement à l’expérience de jeu. Enfin, je vous invite à lire jusqu’au bout pour vous révéler les derniers secrets de notre première Chroniqu’aventure !

Conclusion

Si certains en doutaient encore, Paleo a su nous prouver que le jeu d’aventure n’était pas la chasse gardée de l’univers vidéo-ludique : Peter Rustemeyer nous propose une expérience coopérative immersive grâce à une mécanique qui va nous amener à construire notre histoire. On voyage dans le temps, grâce à un univers visuel, un matériel et une écriture qui nous renvoient à la Préhistoire tout en stimulant notre imagination et c’est donc avec plaisir que nous y retournons pour des explorations toujours renouvelées.

En dehors de la boîte : Survivre à la Préhistoire… ensemble ?

La coopération entre les Hommes prend-elle racine dans la nécessité de survivre dans un contexte hostile comme celui que l’on imagine parfois pour l’âge de pierre ? Au contraire, des conditions de vie difficiles suscitent-elles la violence et les guerres ? Le jeu de Peter Rustemeyer nous montre comment au Paléolithique, les êtres humains s’organisaient en groupes, se répartissaient les tâches et s’entraidaient pour affronter les dangers et assurer leur subsistance.

Pourtant, cette vision n’a pas toujours été défendue par les historiens. Ceux-ci se sont longtemps heurtés – et c’est d’ailleurs encore une forte limite – à l’absence de sources écrites pour étudier la Préhistoire, concept forgé d’ailleurs tardivement, et baptisé ainsi lors de l’Exposition Universelle de 1867. Il faut attendre la deuxième moitié du XXème siècle pour préciser la chronologie, définir les différentes époques et comprendre combien leurs réalités différaient les unes des autres. Dans le même temps, l’archéologie se développe et l’étude du matériel permet de mieux appréhender ce que pouvait être la vie des premiers hommes.

Toutefois, faute de textes, la lecture des données archéologiques relève toujours, au moins partiellement, d’une interprétation, souvent biaisée par les préoccupations des chercheurs liées au présent. Depuis les années 2000, avec la montée du terrorisme et les guerres contemporaines, la recherche s’est notamment tournée vers la violence des hommes préhistoriques. Certaines trouvailles, notamment des squelettes portant des traces de chocs liés à un objet contondant, mais aussi l’excavation d’un site, nommé « 117 » sur lequel on a retrouvé 59 restes d’individus morts de coups violents, ont conduit des spécialistes à affirmer que la Préhistoire avait connu des guerres et que loin d’afficher une belle unité, les tribus comptaient en leur sein des membres parfois brutaux. Ils confirmaient ainsi la vision de l’homme préhistorique véhiculée au XIXème siècle et au début du XXème siècle : les « singes tueurs » des sociobiologistes de l’époque, ou « la horde primitive » de Freud auraient bien existé.

Cette théorie s’oppose à celle prônée en 1974 par Marshall Sahlins dans son ouvrage Âge de pierre, âge d’abondance, qui présentait le Paléolithique comme une période de grande prospérité qui aurait inspiré le mythe de l’âge d’or présent dans plusieurs cultures. La faible démographie, le gibier très présent et le nomadisme qui empêchait l’épuisement des ressources naturelles, auraient permis aux Hommes de vivre sereinement et cette quiétude irait de pair avec un tempérament pacifiste. Les recherches ont aussi montré que la chasse ne pouvait alors fonctionner que sur la collaboration. Bien que les idées de Marshall Sahlins aient été depuis remises en question, bien des chercheurs réfutent actuellement l’image guerrière de l’homme préhistorique. Marylène Patou-Mathis explique ainsi que les traces de coups sur les corps pouvaient être liées à des accidents de chasses et qu’on a, à l’opposé, des signes clairs de l’empathie de nos ancêtres puisque des ossements de plusieurs fossiles humains du paléolithique présentaient des anomalies témoignant de handicaps physiques ou mentaux : or, ces restes montraient aussi que les individus en question avaient vécu plusieurs années et n’étaient donc pas éliminés pour leur différence. En outre, des cicatrices prouvaient les soins prodigués aux blessés. Pour la préhistorienne, il convient de garder en tête l’évolution majeure de la Préhistoire : l’apparition d’une économie de production remplaçant l’économie de subsistance. A la fin du Paléolithique, l’invention du propulseur et le développement d’un équipement de chasse individuel avec les arcs et les flèches marquent la fin d’une communauté de partage. On commence à stocker les biens, ce qui pouvait attirer des convoitises. La sédentarisation et l’apparition de l’agriculture au Néolithique entraîne un changement total du mode de vie et probablement les premières guerres.

Entre un âge d’or et un âge cruel, la vérité est sans doute un peu entre les deux. Mais si le débat est si difficile à trancher, c’est parce que ces deux thèses, fondées sur des analyses archéologiques, rejoignent en fait un clivage… philosophique ! On retrouve d’une part la théorie de Thomas Hobbes qui reprend la maxime antique « l’homme est un loup pour l’homme ». Selon lui, l’homme à l’état de nature, sans gouvernement pour l’apprivoiser, serait foncièrement violent. Le philosophe des Lumières, Jean-Jacques Rousseau, dans son Discours sur l’Origine des Inégalités entre les Hommes, réagira à cette vision en affirmant quant à lui que l’homme sauvage est au contraire bon et que c’est la société et notamment la propriété individuelle qui le pervertit. L’un et l’autre parlent de l’humain des origines mais plus qu’un homme préhistorique réel, c’est la nature humaine qu’ils interrogent et on s’aperçoit qu’il est difficile aujourd’hui de se détacher complètement de cette question et du prisme du présent pour interpréter le passé.

Il est alors particulièrement intéressant de voir comment l’homme préhistorique est aussi réutilisé de manière politique pour tenter d’influer sur nos sociétés contemporaines. Le philosophe et écrivain démocrate Emmanuel Nardon met par exemple en avant la coopération à la Préhistoire pour inviter à réfléchir sur le partage dans le monde individualiste d’aujourd’hui pour co-construire un nouveau « vivre-ensemble ».

Quittons la grotte qui a abrité notre tribu pendant une saison… Il est temps de vous laisser après avoir partagé avec vous cette belle aventure. L’avez-vous vécue pleinement ? Onze chemins différents s’offraient à vous, les avez-vous tous parcourus ? Si ce n’est pas le cas, cliquez ici pour retrouver toutes les traces que vous pouviez suivre.

Si vous êtes prêts à quitter Paleo, retrouvez-nous en commentaires pour nous dire ce que vous avez pensé de cette première Chroniqu’aventure. Si elle vous a plu, n’hésitez pas à partager le point de départ de celle-ci, à vous abonner à la chaîne youtube de la Bonne Pioche et à suivre ce blog !

Sources et sites consultés pour les textes de la Chroniqu’aventure :

Page du jeu sur le site d’Asmodée : https://fr-drafts.asmodee.com/fr/games/paleo/
Page du jeu sur le site de Zman Games : https://www.zmangames.com/en/products/paleo/
Blog de l’auteur Peter Rustemeyer : https://peterrustemeyer.wordpress.com/
Interview de Peter Rustemeyer : https://www.spielevater.de/interviews/im-gespraech-mit-peter-rustemeyer/
Page Instagram de l’illustrateur Dominik Mayer : https://www.instagram.com/_dominik_mayer_/
Vidéo Youtube de Shut Up & Sit Down sur Paleo et la question de la représentativité dans le jeu : https://www.youtube.com/watch?v=26Y-in2w6Rc&t=672s
Fil de discussion sur boardgamegeek.com avec la réponse de Hans im Glück sur le problème de représentativité dans Paleo : https://boardgamegeek.com/thread/2618671/article/37224454#37224454
Pour le « En dehors de la boîte » :
https://www.geo.fr/histoire/prehistoire-etait-ce-l-enfer-ou-le-paradis-188110
http://www.co-construire-avenir.org/publications/dossier/la-cooperation-a-lepoque-prehistorique-un-facteur-decisif-de-survie-et-devolution
https://www.monde-diplomatique.fr/2015/07/PATOU_MATHIS/53204
https://www.geo.fr/voyage/mysterieux-hommes-de-la-grotte-de-lascaux-en-dordogne-prehistoire-archeologue-interview-162464
https://www.hominides.com/html/actualites/homme-prehistorique-compassion-humanite-elvis-0357.php
https://theconversation.com/quand-larcheologie-enquete-sur-lorigine-de-la-violence-organisee-149382

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