Gods Love Dinosaurs : à table, mon saurien !

Que feriez-vous avec des pouvoirs cosmiques phénoménaux ? Il est temps de vous poser sérieusement la question puisque vous venez d’être propulsés à la tête d’une planète flambant neuve. Déité omnipotente, vous avez tout à faire et tout est possible ! Vous vous mettez au travail, façonnant des environnements et y installant de charmants animaux qui gambadent joyeusement dans les forêts luxuriantes que vous avez aménagées pour eux. Mais voici que s’avance la plus belle de toutes vos créations, celle pour qui tout a été pensé et qui va tout dévorer : le dinosaure.

Au commencement, les dieux créèrent leur planète. Ils levèrent les ténèbres et appelèrent la lumière. Puis, ils firent le ciel, le continent et la mer. Ils recouvrirent la terre de verdure, semèrent pour créer des champs, firent jaillir des arbres. Ils aménagèrent des lacs et des montagnes et virent que cela était bon. Les dieux firent tout cela en un jour – il faut dire qu’ils avaient eu une première expérience, riche en enseignements. Le deuxième jour, les dieux dirent : Que les eaux grouillent de grenouilles croassant, que des lièvres au pas léger bondissent dans les blés, que des rats rampent dans les racines dans les forêts, et il en fut ainsi. Le troisième jour, les dieux dirent : Que des tigres aux crocs et aux griffes acérés se tapissent dans les hautes herbes et que des aigles véloces volent au-dessus du monde, et il en fut ainsi. Les dieux bénirent tous les êtres vivants et dirent : Soyez féconds, multipliez-vous et… faites-vous bouffer ! Car les dieux, le quatrième jour, créèrent le tyrannosaurus rex, une créature pour dominer toutes les autres, qu’il fallait bien nourrir. Les dieux virent ce qu’ils avaient fait : cela était très bon. Bienvenue dans le monde de Gods Love Dinosaurs, créé par Kasper Lapp, l’auteur de Magic Maze ! Arrivé sur nos étals en décembre dernier, le jeu, initialement produit par Pandasaurus Games, est localisé par Catch Up et marque le début d’un partenariat plus étroit entre les lyonnais et l’éditeur américain qui assurait déjà la traduction et la distribution de Wild Space et The Loop à l’étranger. Les deux collaborateurs se rejoignent dans leur envie de se démarquer par des choix éditoriaux forts, que ce soit en termes d’illustrations mais aussi de thématiques parfois loufoques, à l’instar de celle de Gods Love Dinosaur dans lequel on incarne des divinités qui construisent un écosystème complet dans le seul et unique but de faire prospérer les dinosaures auxquels elles sont accrocs ! Approchons de plus près les bêtes pour voir ce qu’elles ont dans le ventre…

2 à 5 joueurs – 45 minutes – A partir de 10 ans – Prix de vente conseillé 42 euros

Le jeu m’a été envoyé par Catch Up Games. Merci à eux pour leur confiance.

Eclosion de dinosaures

Coup d’oeil dans le nid

La couverture de Gods Love Dinosaurs vous intronise immédiatement : vous êtes les démiurges tout puissants contemplant votre création. Les dinosaures se font discrets sur la boîte, s’effaçant devant l’ensemble des environnements créés pour eux. Depuis l’espace, on observe une planète recouverte par différents milieux propices à la vie. Le dessin de Gica Tam est tout en couleurs, offrant une jolie harmonie de tons chaleureux. Les aplats viennent créer du relief tout en donnant l’impression que la lumière se dépose délicatement par endroits. Voilà un monde tout à fait charmant, réhaussé par des petits détails comme les nénuphars sur les plans d’eau ou les pâquerettes dans les champs. Catch Up Games a confié à Christine Alcouffe le soin d’opérer quelques ajustements sur la couverture originale : celle-ci a fait le choix de rapprocher la planète et d’éclaircir l’espace qui passe du noir au bleu sous l’effet du halo de lumière de la planète. L’ensemble dégage une belle douceur… Pourtant, les dinos sont bien là, rappelés subtilement par la représentation en trois dimensions des terrains qui donne à cette terre un côté hérissé, mais aussi par le titre puisque le mot « Dinosaurs » s’affiche en grosses lettres craquelées, comme fissurées sous l’effet du pas lourd des tyrannosaures faisant trembler le sol.

Ouvrir la boîte permet de mesurer d’un seul coup d’œil toutes les ressources fournies par le jeu : un thermoformage accueille des pions en bois, un plateau central et de nombreuses tuiles en carton qui serviront à créer votre monde. L’ensemble est de qualité et bien pensé ; le plateau est par exemple de taille réduite, juste adapté à ce qu’il doit recevoir, afin de ne pas encombrer l’espace de jeu qui sera surtout occupé par les territoires que vous assemblerez. Les tuiles sont solides et distinguées par une constellation et une lettre différente sur leur verso afin de faciliter la mise en place. Des petits éléments viennent rajouter du charme au jeu : des tuiles nid pour accueillir nos petits œufs de dinosaures ou encore un marqueur joueur actif en forme de volcan qui constitue un clin d’œil à notre histoire préhistorique. Néanmoins, l’œil est immédiatement attiré par les meeples animaux qui constituent la plus grande réussite de cette édition : le jeu contient 160 pions en bois de couleur vive découpés pour représenter des silhouettes de rats, de lapins ou de tigres. Ils sont tout simplement adorables et on a très vite une seule envie, jouer pour manipuler toutes ces petites bestioles ! Le matériel contribue indéniablement ici au plaisir ludique car on se plaît aussi à voir notre planète se peupler petit à petit de ces différentes créatures. En noir, le T. rex se distingue immédiatement d’autant que sa taille est supérieure aux autres meeples.

Gods Love Dinosaurs marque donc déjà des points pour cette édition très léchée. De mon côté, je regrette finalement seulement le rangement en plastique, pas si pratique que cela à l’usage : il impose un rangement horizontal de la boîte sous peine de tout voir se balader et les compartiments pour ranger les tuiles ne permettent pas par exemple un tri efficace en fonction du nombre de joueurs, ce qui oblige à tout sortir pour l’installation, peu importe la configuration.

Les premiers (re)pas de bébé T.rex

Le matériel de Gods Love Dinosaurs vous a mis en appétit ? Rassurez-vous, vous allez vite pouvoir passer à la table de jeu car une des grandes qualités de celui-ci est son accessibilité et sa rapidité de prise en main.

Le livret de règles est un modèle de clarté et de lisibilité. Elle donne rapidement des repères au joueur en utilisant par exemple un code couleur pour les différentes créatures : les proies, les prédateurs ou les dinosaures sont tous identifiés par une couleur typographique distincte, reprise ensuite dans le chapitrage en fonction des actions associées à tel ou tel animal. Par ailleurs, la règle accompagne le joueur en mettant en évidence les points importants en gras mais aussi en créant des encarts avec des conseils. Elle présente aussi des exemples illustrés et commentés de tours de jeux, toujours placés au même endroit sur la page, afin de faire un arrêt régulier sur les nouvelles notions. La mise en page est très bien conçue puisqu’elle invite à faire des liens entre certains points de règles : on pense notamment aux explications sur la mort des prédateurs et des dinosaures qui n’auraient pas assez mangé puisque chaque cas dispose de son propre encart placé en bas à gauche de la double page, ce qui permet de naviguer de l’un à l’autre et de mesurer les différences entre les deux situations. Enfin, la règle s’achève sur une page réservée à des rappels sur ce qui est fréquemment oublié par les joueurs, ce qui permet de vérifier tout de suite sa compréhension des mécaniques.

Par ailleurs, la maîtrise des règles est facilitée par l’iconographie présente sur le matériel du jeu qui rend tout assez intuitif. Les illustrations de Gica Tam restent sobres pour ne pas empiéter sur les informations utiles au gameplay et elles viennent même parfois les accompagner comme sur le plateau central qui présente une fresque des différents environnements ; chaque milieu se situe alors au niveau d’un symbole animal ce qui rappelle les habitats préférés des proies. Le système d’activation des créatures apparaît en outre assez évident grâce à lecture tabulaire du plateau. Finalement, à l’issue de la lecture des règles, tout semble évident et on entre aisément dans la première partie.

Un festin divin

Les recettes des dieux sont impénétrables

« J’ai choisi ces [animaux] parce que je les trouvais cools ! » : voilà comment Kasper Lapp explique la présence conjointe des tigres et des aigles comme prédateurs dans Gods Love Dinosaurs alors qu’il avait envie de créer un jeu sur la chaîne alimentaire. C’est aussi ce qui explique l’arrivée des dinosaures dans cet univers. De fait, Gods Love Dinosaurs nous amène à construire un écosystème assez improbable par la réunion d’animaux choisis de manière totalement arbitraire. L’apparition loufoque des dinosaures participe au fun du jeu, d’autant qu’ils sont mis en scène descendant de leur montagne pour aller se faire un petit frichti. Attribuer la suprématie des tyrannosaures à des dieux fans de dinos prête également à sourire…

… car derrière l’absurde de la situation, Gods Love Dinosaurs nous invite aussi à faire preuve d’auto-dérision. Kasper Lapp propose un détournement parodique de la création divine faisant, non plus de l’homme, mais du dino, l’être suprême béni par les divinités. On ne peut s’empêcher d’y voir une pointe de satire de l’anthropocentrisme lié à la théologie.

Par ailleurs, sous des dehors complètement burlesques, le jeu aborde des thématiques aussi sérieuses, montrant que la vie est liée à un fragile équilibre entre les êtres. Le dinosaure, aussi impressionnant soit-il, finit par mourir si on a négligé le développement des proies et des prédateurs, car il n’a lui-même plus de quoi de nourrir. La prospérité dinosaurienne ne peut advenir qu’avec la fécondité de chaque chaînon précédant le T. rex. En outre, les proies du jeu, les grenouilles, les rats et les lapins, ne peuvent s’installer que si elles disposent d’un milieu adapté, ce qui renvoie implicitement à la perte de la biodiversité liée à la destruction des habitats de certaines espèces. La règle présente le jeu de Kasper Lapp comme une relecture d’une « fable scientifique vieille comme la vie » et il y a bien de cela puisque derrière l’histoire un peu folle des dinos chéris des dieux se dessine une morale écologique à la portée de tous : l’approche comique est aussi alors une force de Gods Love Dinosaurs qui ne se perd par pour autant dans un moralisme trop frontal.

Un menu respecté ?

Le thème, on l’a vu, était le point de départ du jeu dans l’esprit de son créateur. La mécanique a ensuite découlé de celui-ci et on le ressent assez bien au cours de la partie.

Tout d’abord, la gestion de l’écosystème nous place rapidement face à la nécessité de réguler nos différentes populations, sous peine de nous punir rapidement : dans Gods Love Dinosaurs, le danger ne vient pas de l’extérieur (même si nous verrons que les autres joueurs peuvent venir contrarier nos plans) mais de l’intérieur. En effet, si vous vous aventurez à placer trop de prédateurs dans votre monde sans avoir prévu un cheptel suffisant de proies pour les nourrir, vos carnivores mourront tout simplement. On s’applique donc vite à mettre en place un équilibre dans notre programmation et à travailler par paliers successifs, puisqu’il faut consolider le premier niveau, celui des proies, avant de songer à vraiment développer celui des prédateurs puis des dinosaures.

D’autre part, Kasper Lapp a introduit deux espèces différentes de prédateurs, créant des contraintes mécaniques plutôt cohérentes avec les animaux choisis. Ainsi, les tigres disposent de deux déplacements uniquement et fonctionnent sur un territoire de proximité, alors que les aigles peuvent aller plus loin, avec trois déplacements, mais en ligne droite seulement, comme pour reproduire le moment où l’oiseau fond sur sa proie. Par ailleurs, un effort thématique a été fait sur le lieu d’apparition des prédateurs : le tigre naît majoritairement en forêts alors qu’il est rare d’y trouver des aigles, ceux-ci préférant les espaces dégagés.

Enfin, la reproduction des carnivores dans Gods Love Dinosaurs est étroitement liée à leur alimentation : les prédateurs ne se reproduisent que s’ils ont mangé au moins deux proies. La première leur permet seulement de survivre : ce sont les suivantes et donc le surplus qui amènent au développement de l’espèce. La mécanique tend à reproduire ce qu’on observe dans la nature avec des systèmes d’auto-régulation.

Bien sûr, d’autres aspects du jeu pourront paraître un peu artificiels : le déclenchement des phases de reproduction ou de nourrissage est ainsi purement mécanique. Cependant, l’auteur a su prendre appui sur le thème pour construire le cœur de son système de jeu et parvient à nous immerger dans son univers.

La dinosaurienne comédie

Mais au fait, comment on joue ? Cliquez pour découvrir la règle Pour apprendre à jouer à Gods Love Dinosaurs, vous pouvez regarder la courte vidéo de La Bonne Pioche.
: Vidéo-règle

Un dieu ne laisse rien au hasard

La mécanique principale de Gods Love Dinosaurs est très simple : à son tour, un joueur choisit sur le plateau principal l’une des doubles tuiles terrains disponibles puis la place dans son espace de jeu de sorte à agrandir son écosystème. Les contraintes de placement sont très faibles puisqu’il faut juste que la tuile communique avec au moins une autre tuile, peu importe les terrains représentés. De plus, la forme hexagonale des terrains offre davantage de possibilités qu’un domino classique.

Or, cette simplicité cache en fait une belle profondeur stratégique puisque pour que votre écosystème fonctionne, il vous faudra bien planifier vos actions car chaque choix et placement de tuiles aura un impact sur la suite de votre partie. Effectivement, si vous pouvez théoriquement placer les tuiles de manière totalement aléatoire, vous essaierez plutôt de créer des zones de milieux identiques puisqu’une proie se reproduit uniquement dans le terrain qui lui convient et de manière adjacente. Une trop petite aire de forêts limitera par conséquent le développement des rats. Ensuite, pour nourrir vos prédateurs, il faut que ceux-ci se situent à portée de leurs proies sans quoi ils seront condamnés à périr. Enfin, les dinosaures cherchent à manger des prédateurs mais doivent aussi finir systématiquement leur déplacement sur une montagne, ce qui oblige à en placer à des endroits soigneusement sélectionnés.

D’autre part, tout le sel du jeu réside dans l’activation des différentes espèces pour les phases de reproduction et de prédation. Les tuiles sont installées sur le plateau central en colonnes, chacune de ces colonnes correspondant à un animal, grenouille, lapin, rat, tigre puis aigle. Lorsqu’un joueur s’empare de la dernière tuile d’une colonne, il déclenche alors pour tout le monde la phase de reproduction, s’il s’agissait d’une colonne proie, ou la phase de nourrissage s’il s’agissait d’une colonne prédateur. On choisit donc une tuile non seulement pour ce qu’elle offre en elle-même (les terrains, les animaux présents) mais aussi pour les conséquences que sa prise va engendrer. Les dilemmes sont nombreux : on cherche toujours à optimiser les tours précédents en lançant une reproduction au moment le plus opportun, mais parfois la tuile qui nous intéresse le plus s’oppose à cette logique. A cela s’ajoute l’activation des dinosaures qui vont être associés à un animal : la première chasse des dinos se produira au moment de la reproduction des grenouilles puis la deuxième au moment de celle des lapins, et ainsi de suite. Or, une phase de prédation trop prématurée peut se solder par la mort de vos précieux tyrannosaures car vous n’aurez pas toujours prévu assez pour les nourrir. Cette mécanique est savoureuse : elle génère de la tension sur les activations en fonction des choix de tuiles des uns et des autres, et vous oblige aussi à vous diversifier. En effet, vous spécialiser dans un type de proie en particulier peut paraître judicieux mais vous ferait perdre le bénéfice des activations des autres espèces. La partie allant vite, on cherche à ne rater aucune opportunité de développer notre écosystème.

L’importance de la planification rend toutefois Gods Love Dinosaurs assez punitif : de mauvais choix au démarrage pourront vous obliger à tout reprendre depuis le départ si l’inanition frappe plusieurs de vos créatures par manque de prévoyance. Les manches s’enchaînent rapidement (la boîte indique 45 minutes de parties, mais à deux on peut facilement tourner autour d’une demi-heure) et on a parfois l’impression que le moindre faux-pas entraîne un retard difficile à rattraper.

Heureusement, chaque phase de prédation s’accompagne aussi de satisfactions ou de grognements de rage qui créent une ambiance amusante autour de la table. Le plaisir ludique est au rendez-vous-même quand on ne se rend compte qu’on n’a pas toujours bien maîtrisé le destin. On passe un bon moment et Gods Love Dinosaurs apparaît vraiment comme un jeu familial pour cette raison, même si la dimension stratégique demande un certain art (l’éditeur le recommande à partir de 10 ans, ce qui me semble bien pour que l’enfant perçoive bien toutes les subtilités du jeu).

Mangez trois proies et deux prédateurs par jour : l’assiette équilibrée d’un dino

Pour remporter la partie, seuls les dinosaures comptent puisque c’est votre passion. A la fin, chaque joueur remporte un point par tyrannosaure survivant et par œuf dans son nid. Or, les moyens pour faire prospérer les grosses bêtes sont multiples.

De prime abord, on croit voir se dessiner quelques stratégies à privilégier. Ainsi, les proies ne sont pas présentes en nombre identique car toutes n’ont pas la même fréquence d’apparition. On pourrait penser que les grenouilles valent moins le coup car il y a moins de lacs et le potentiel de reproduction est donc moindre : cependant, investir dans les lacs est intéressant pour faire apparaître ensuite les aigles. En revanche, les forêts sont extrêmement nombreuses et font naître une belle synergie rats/tigres mais ces tuiles sont aussi très spécialisées : une seule est associée à un champ et une seule à un lac. Cela s’oppose donc un peu à la diversification nécessaire pour profiter de toutes les activations. Surtout, ces considérations ne prennent pas en compte le tirage aléatoire des tuiles dans les différentes colonnes qu’on aura envie de prendre ou non aussi en fonction de leur position. On va en conséquence s’adapter au profil de chaque partie pour dessiner notre paysage, en sachant que la séparation des tuiles en quatre paquets permet de répartir de manière assez régulière les terrains et créatures au fur et à mesure du jeu.

Ensuite, la gestion des dinosaures peut amener quelques expérimentations puisqu’on apprend petit à petit à trouver l’équilibre entre les T. rex vivants qui se reproduiront – ce qui nous fait marquer des points – mais doivent être nourris pour ne pas perdre l’investissement qu’on a fait sur eux, et les œufs qui restent bien au chaud dans leur nid (des points assurés mais sans potentiel supplémentaire).

Les dieux sont omniscients, c’est bien connu. Pour autant, Gods Love Dinosaurs ne semble pas révéler de martingale mais nous obliger à retrouver l’équilibre précaire de la vie à chaque partie : on y retourne donc avec plaisir !

Qui a les plus gros dinos ?

Vous avez évidemment tout prévu : vous êtes dieu. Rien ne saurait contrarier vos plans célestes. Rien sauf que vous n’êtes pas la seule divinité et qu’une certaine rivalité vous oppose aux autres tout-puissants. Vos adversaires partagent le même but que vous et sauraient s’enorgueillir d’avoir mieux réussi dans votre entreprise commune. Alors, tout en vous concentrant sur votre planète, vous gardez un œil sur l’avancée de celle des autres.

L’interaction dans Gods Love Dinosaurs est indirecte : vous ne pouvez pas lancer une météorite pour hâter l’extinction des dinos autres ou venir parasiter la chaîne alimentaire de vos camarades. Toutefois, c’est loin d’être un jeu où chacun joue dans son coin même si tout le monde créé son propre univers et si vous n’avez jamais entendu un dieu couiner, une partie de Gods Love Dinosaurs devrait vous en donner l’occasion ! Le jeu de Kasper Lapp est en fait sacrément chafouin. On prend des décisions par rapport à nos propres objectifs mais on fait aussi certains choix par pure malveillance !

En effet, comme prendre la dernière tuile d’une colonne enclenche l’activation de l’espèce correspondante, voire des dinosaures dans certains cas, on va aussi s’en servir pour nuire à nos rivaux : on se réjouit de faire reproduire les grenouilles alors que notre voisin n’a pas eu le temps d’en mettre sur sa planète et va donc rater une occasion de se développer ; on jubile encore plus quand l’activation des prédateurs est trop précoce pour un joueur et l’oblige à faire périr certains de ses animaux ! Cette stratégie fait pleinement partie de la dynamique de Gods Love Dinosaurs et je dois avouer que c’est un de mes aspects préférés du jeu car on se surveille en permanence. Si l’on cherche à piéger ses adversaires, ils sont tout à fait prêts à le faire également donc on va aussi tenter de limiter leurs opportunités de compromettre notre écosystème. Voilà encore un facteur à prendre en compte lors de la sélection d’une tuile !

Conclusion

Vous serez sans doute séduits immédiatement par le thème loufoque et l’édition soignée. Mais vous découvrirez bien vite que, sous son apparente simplicité, Gods Love Dinosaurs cache aussi un jeu malin et même un peu retors : il saura vous confronter à des dilemmes pour faire prospérer au mieux votre petit monde tout en freinant l’évolution de vos adversaires. Les tours s’enchaînent rapidement mais sont toujours l’occasion de petites satisfactions ou de récriminations – les unes étant souvent, soyez honnête, liées aux autres. Les diverses conséquences des choix des tuiles font de Gods Love Dinosaurs un plaisant casse-tête et on s’amuse à voir grandir et se peupler notre planète pour mieux la dégraisser au prochain nourrissage de nos animaux.

En dehors de la boîte : l’homme, au sommet de la chaîne alimentaire ?

Dans Gods Love Dinosaurs, les tyrannosaures sont placés au sommet de la chaîne alimentaire, se nourrissant des carnivores tout en échappant eux-mêmes à la prédation. Cette revisite fantasque nous invite à nous interroger aussi sur la place de l’Homme sur notre propre planète puisqu’il est souvent considéré comme le dernier maillon de la chaine alimentaire. Cette opinion est-elle fondée ?

D’un point de vue purement alimentaire, des études sont justement venues récemment remettre en cause cette assertion : en effet, l’Homme est omnivore et un peu plus de la moitié de son alimentation est constituée de fruits, de légumes ou de céréales. Si l’on distingue les êtres sur la base de leur régime alimentaire, on peut établir le niveau trophique de chaque espèce, en attribuant à chacun un indice allant de 1, pour les producteurs primaires comme les plantes, à 5 pour les carnivores se nourrissant exclusivement de viande et n’ayant pas ou peu de prédateurs. Or, l’Homme occupe alors une position médiane puisque son niveau trophique serait de 2,21 : il est ainsi largement détrôné par le crocodile, le boa constricteur ou le tigre et se situe plutôt sur le même plan que les anchois ou les cochons !

Or, le niveau trophique de l’Homme n’a pas toujours été celui-ci et on s’aperçoit que sa place dans l’échelle alimentaire varie selon plusieurs facteurs comme son environnement, son évolution et des éléments culturels. Ainsi, l’homme préhistorique était vraisemblablement, lui, un superprédateur avec un régime majoritairement carné avant la sédentarisation et le développement de l’agriculture, lui-même lié à un déclin des sources de nourriture animale. Le développement de la civilisation s’est accompagné d’une baisse du niveau trophique de l’Homme. Toutefois, l’industrialisation et l’essor du capitalisme ont apparemment généré une dynamique inverse : on observe un phénomène d’augmentation depuis les années 60 avec une hausse du niveau trophique moyen, mais aussi des différences notables entre les pays en fonction de leur situation économique. Les pays riches ont ainsi un niveau trophique plus élevé que les pays en voie de développement. Le développement d’un pays s’accompagne aussi en général d’une hausse du niveau trophique, ce qu’on a pu observer en Chine ou en Inde.

Cette hausse n’est pas sans conséquence sur nos écosystèmes : l’augmentation de la consommation de viande va en effet de pair avec celle de production des déchets. Toutefois, l’équilibre naturel est aussi fortement impacté par l’Homme au-delà de sa consommation. Effectivement, l’Homme est devenu un nouveau type de superprédateur, déconnecté de la chaîne alimentaire, car son comportement de prédation n’est pas toujours motivé par son régime mais par une recherche de contrôle sur son environnement. On peut ainsi noter que l’Homme exerce une pression très forte sur les carnivores alors même qu’il ne les consomme pas : il tue notamment les grands carnivores à un rythme neuf fois plus élevé que celui qui voit les prédateurs s’entre-tuer dans la nature. L’Homme s’assure de cette manière une parfaite hégémonie sur terre et sur mer mais bouleverse l’équilibre des écosystèmes, de manière parfois totalement contre-productive car les prédateurs naturels occupent une place essentielle dans la régulation des différentes espèces. Les expériences de réintégration des prédateurs menées dans divers espaces, comme le loup au parc du Yellowstone, se sont révélées particulièrement concluantes et positives pour l’ensemble des populations.

Ainsi, l’homme n’est pas à proprement parler au sommet de la chaîne alimentaire mais la parasite par son action sur les autres prédateurs. En revanche, son ingérence dans les écosystèmes a profondément à voir avec le sentiment d’être « au sommet » et puise son origine dans la théologie puisque le sentiment de supériorité de l’Homme sur les autres espèces s’est accentué avec le passage du paganisme au christianisme occidental. Gods Love Dinosaurs s’amuse sur la chaîne alimentaire mais n’a peut-être pas tout à fait tort…

Sources et sites consultés pour cet article (clic !)

Site de Catch Up et page du jeu : http://www.catchupgames.com/gods-love-dinosaurs/
Site de l’éditeur américain Pandasaurus : https://pandasaurusgames.com/
Le bilan 2021 de Catch Up et leur partenariat avec Pandasaurus : https://www.trictrac.net/actus/catch-up-fait-le-bilan-de-2021?fbclid=IwAR2mDJY9FZRwvE4IVe-HEZTSyYXvIDPyEfBZJsrkxjuHdvxcFQHxPGnnXuo
Le journal d’auteur de Gods Love Dinosaurs : https://www.trictrac.net/actus/gods-love-dinosaurs-le-journal-dauteur?fbclid=IwAR0rtTFragnpiXtcQTZRFOmtZse90Ww4xCfqI7vHpkWj32lDeT7eOzNNWbg
Pour le « En dehors de la boîte » :
Article de Libération, « Chaine alimentaire : l’homme, un anchois comme les autres » : https://www.liberation.fr/sciences/2013/12/04/chaine-alimentaire-l-homme-un-anchois-comme-les-autres_964185/
Article de Maxisciences, « Où l’homme se situe-t-il dans la chaîne alimentaire ? » : https://www.maxisciences.com/homme/ou-l-homme-se-situe-t-il-dans-la-chaine-alimentaire_art31504.html#:~:text=Les%20chercheurs%20ont%20calcul%C3%A9%20que,cochon%20ou%20d’un%20anchois.
Article de futura-sciences, « Nos ancêtres étaient des superprédateurs durant 2 millions d’années, jusqu’à un changement de régime » : https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/homme-nos-ancetres-etaient-superpredateurs-durant-2-millions-annees-jusqua-changement-regime-86652/
Article de Cédric Sueur pour la fondation Droit Animal Éthique & Sciences, « Et si le sentiment de supériorité de l’être humain ne lui appartenait pas ? » : https://www.fondation-droit-animal.org/94-et-si-le-sentiment-de-superiorite-de-letre-humain-ne-lui-appartenait-pas/
Article du Monde d’Audrey Garric, « L’humain, un « insoutenable » superprédateur » : https://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2015/08/20/l-humain-un-insoutenable-superpredateur_4731892_1652692.html
Articles Wikipédia sur les superprédateurs, la cascade trophique et la scala naturae :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Superpr%C3%A9dateur
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cascade_trophique
https://fr.wikipedia.org/wiki/Scala_natur%C3%A6


Je fais partie des programmes d’affiliation de Ludum et de Philibert. Si vous n’avez pas de boutique ludique près de chez vous et que vous souhaitez commander sur l’un de ces sites tout en soutenant le blog, vous pouvez cliquer sur ces images pour y accéder :

Laisser un commentaire