Coups Foorés dans l’Espace-Temps : affrontez le docteur Foo dans The Loop

Les cylindres s’animent, les bobines génèrent un champ électromagnétique, le calculateur quantique vérifie la trajectoire temporelle… Du moins, c’est ce que nos experts de l’Agence ont conjecturé mais nous ne sommes sûrs de rien en ce qui concerne la Machine à Voyager dans le Temps du diabolique Docteur Foo. Enfin, si, on est sûr qu’elle risque de tous nous anéantir si vous n’agissez pas vite. Avec son projet Omniscience 2000, Foo circule d’époque en époque en créant des clones de lui-même mais aussi et surtout des failles dans l’espace-temps ! Qu’attendez-vous ? Il nous faut la meilleure équipe une équipe disponible immédiatement pour l’arrêter.

En 2019, 612 jeux de société et 136 extensions sont sortis en France. Ces chiffres à eux seuls témoignent de l’essor du secteur dans le marché du divertissement français : chacun s’en réjouit car l’augmentation de l’offre répond à une demande plus importante. Il y a plus de joueurs et il y a fort à parier qu’au sortir de la crise du coronavirus, le phénomène se poursuivra de plus belle, le jeu de société s’étant positionné comme l’un des loisirs phare des confinements. En tant que consommateur, on se réjouit de voir les étals se remplir toutes les semaines de nouveautés et on guette la pépite ludique qui viendra grossir les rayons de notre ludothèque. Cependant, cela impose aussi de faire des choix, et s’il est parfois compliqué de se décider pour nos achats devant tant de tentations, il est aussi plus difficile pour les acteurs du monde ludique de se démarquer. Auteur, illustrateur, éditeur, distributeur : comment faire pour que le jeu sur lequel chacun travaille avec passion depuis des mois ne se retrouve pas tout simplement noyé dans la masse ? La durée de vie d’un jeu se définissait par sa rejouabilité : vais-je m’en lasser rapidement ou non ? Le problème se pose différemment face à l’offre pléthorique : combien de temps vais-je mettre à l’oublier car d’autres l’auront chassé de mon esprit ? La dérive de la surabondance est de voir le jeu neuf devenir immédiatement obsolète. Alors comment s’affirmer sur le marché, comment s’assurer assez de visibilité pour vendre et comment résister à l’épreuve d’un temps ludique accéléré ? On a souvent l’impression que beaucoup d’éditeurs tentent de trouver un équilibre assez consensuel entre originalité et classicisme : il faut que le jeu plaise donc attire le regard du plus grand nombre – et cela passe tout d’abord par le matériel, de plus en plus « joli » – tout en mettant en avant un petit twist mécanique ou thématique. Peut-on sortir davantage des sentiers battus ? S’exposer à ne pas plaire à tout le monde, dès le pitch, dès la couverture ? Le jeu qui relève ce défi cette année est pour moi incontestablement The Loop de Maxime Rambourg et Théo Rivière, édité par CatchUpGames et distribué par BlackRock. Certainement, la boîte violette accrochera le regard du joueur mais les illustrations de Simon Caruso affichent un style tout à fait particulier, qu’on pourra apprécier comme détester. Le thème loufoque d’un savant fou voyageant dans le temps et menaçant l’équilibre du monde est imprégné de culture pop et tous ne s’y reconnaîtront pas forcément. Enfin, les joueurs avertis, amateurs d’expériences ludiques coopératives comme le propose The Loop, habitués au sérieux d’un Pandémie ou d’un Spirit Island, seront peut-être déroutés par l’idée de jouer avec… un « super-slip » ! The Loop fait le pari d’assumer son identité, quitte à être clivant. Il ose, c’est indéniable, mais cela en fait-il un bon jeu ?

1 à 4 joueurs – Environ 60 minutes – A partir de 12 ans – Prix de vente conseillé 42 euros

Briefing à l’Agence

Quel beau bureau, Mr Time !

Dès la couverture, The Loop ne laisse pas indifférent : la boîte attire l’attention par ses couleurs vives et sa patte graphique très stylisée. Le docteur Foo, grimaçant, vous toise de son œil valide et de son monocle. Avec l’identité du méchant, incriminé par le sous-titre « Encore un coup du Dr Foo ! », c’est en fait l’identité même de The Loop qui est présentée aux joueurs. Le thème du voyage dans le temps et des clones du génie maléfique apparaît en effet immédiatement par la démultiplication de l’image de Foo en sept personnages, représentant chacun une époque. Outre la couleur différente de chacun, qui annonce le code chromatique appliqué ensuite dans le jeu, on remarque alors que l’apparence de Foo évolue avec le temps et nous projette déjà dans les diverses ambiances du jeu : le Foo préhistorique, hirsute, côtoie par exemple un Foo raffiné de la Renaissance, droit dans sa fraise godronnée de la fin du XVIème siècle. En outre, l’esthétique des Foo annonce l’importance de la pop culture dans la création de l’univers, que ce soit par les couleurs ou par les lignes très géométriques qui rappellent le jeu vidéo. Sur l’une des tranches, vous découvrez l’équipe de super-agents constituée pour combattre Foo, tout en ombres, placés au deuxième plan de l’image alors que la machine construite par le docteur est dessinée à l’avant : l’affrontement est imminent, vous avez presque l’impression d’être dans le cockpit d’une machine à voyager dans le temps qui sera aussi une arme dans le combat temporel qui se prépare.  L’image de la couverture illustre les partis-pris graphiques et thématiques du jeu : elle ne plaira pas à tous, certains la trouveront trop chargée, trop flash, mais je trouve qu’elle remplit parfaitement son rôle !

Ouvrir la boîte vous réservera quelques surprises. La boîte elle-même est l’une des plus agréables car elle cherche à la fois à satisfaire l’expérience ludique du joueur tout en faisant honneur à l’équipe à l’origine de The Loop. Vous aurez l’impression d’entrer dans le hall de l’agence temporelle pour laquelle vous travaillerez et vous découvrirez alors les représentants les plus illustres de la société dans une galerie de tableaux d’employés du mois. Parmi eux, se trouvent les personnages que vous incarnerez mais aussi les éditeurs de CatchUpGames, Clem et Seb, les auteurs Maxime Rambourg et Théo Rivière et l’illustrateur Simon Caruso. Clin d’œil sympathique mais en plus de leur représentation, vous pourrez lire sur le pourtour de la boîte leur ludographie. J’ai vraiment aimé cet aspect car il met en avant le travail des personnes ayant travaillé sur The Loop, ce qui apparaît très rarement dans d’autres jeux à l’exception de publicités pour le catalogue des éditeurs. J’ai notamment apprécié la présentation du parcours de l’illustrateur, souvent trop peu valorisé dans le monde ludique alors que leur travail est essentiel à l’immersion ! D’ailleurs, présenter les différents acteurs sur les côtés de la boîte évite toute hiérarchie et il est amusant de constater qu’ils sont cinq à être dessinés, ce qui correspond au nombre de personnages combattant le docteur Foo : cela renforce encore l’idée d’équipe et rappelle que la création ludique reste un défi – peut-être pas aussi important que sauver le monde mais quand même ! Enfin, dans le fond de la boîte, l’éditeur a eu la bonne idée d’inclure un ensemble d’objectifs à cocher, objectifs ludiques ou totalement loufoques à l’image du jeu : voilà de quoi donner envie de rejouer encore et encore (et même de perdre) pour avoir le plaisir de valider un nouvel item. En plus, les premiers acquéreurs du jeu ont pu recevoir une planche goodies d’autocollants pour compléter ces listes : élément totalement dispensable mais complètement jouissif !

The Loop vous propose un matériel complet de bonne qualité : les figurines joueurs en bois, peintes, sont de belle taille et agréables à manipuler, les cartes sont rigides et résisteront sans mal à de nombreux mélanges et les nombreuses tuiles en carton sont bien épaisses, de même que les plateaux fournis. J’avais été impressionnée par la qualité du matériel dans Pharaon, le précédent jeu de CatchUpGames, mais ils sont allés plus loin avec la machine du docteur Foo, superbement imprimée en 3D. En plus de remplir sa fonction de distributeur de cubes aléatoire, il s’intègre parfaitement au plateau central.

Le plateau Espace-Temps, sur lequel vous évoluez, est magnifique – on y reviendra pour parler du travail de Simon Caruso. On regrettera toutefois un peu sa taille qui a certes le mérite de limiter la place nécessaire pour jouer, mais qui est trop réduite pour le rendre vraiment bien lisible et ergonomique. En effet, sur chaque époque, vous devrez mettre plusieurs types de cubes et des jetons clones, en plus de votre personnage qui pourra s’y déplacer. Si vous gérez bien l’afflux de clones de Foo, cela devrait aller mais dès qu’il y a beaucoup de jetons, l’ensemble devient chargé. Ce défaut se fait davantage sentir dans les modes de jeu « Sayan Supa Clones » et « Centrifugeuses L.A.S.E.R » qui rajoutent des jetons assez imposants sur le plateau. C’est d’autant plus frustrant qu’il reste beaucoup d’espace dans la boîte une fois le matériel rangé. Le surdimensionnement de la boîte en fera tiquer quelques-uns : l’avantage est que celle-ci pourra sans peine accueillir du matériel supplémentaire en cas d’extensions. L’ensemble des éléments est prévu pour être mis dans des sachets zip.

Attention, avant de commencer, prévoyez du temps : la mise en place est un peu longue et il vous faudra vous habituer à l’ensemble du matériel pour être plus efficaces dans l’installation (on ne part pas comme cela à l’aventure dans l’Espace-Temps !).

Ordre de mission

Lorsque Mister Time vous accueille pour le briefing, il vous remet non pas un, ni deux mais trois dossiers en main. Ce sont autant de livrets de règle donnés dans la boîte. L’un d’eux – pour lequel le mot livret est abusif car il s’agit seulement d’un feuillet imprimé recto-verso – présente uniquement les ajustements, peu nombreux, du mode solo. Le plus épais est le « Règlement Intérieur » qui vous présente le fonctionnement du jeu dans sa version la plus simple alors que le « Livret Opérationnel » apporte des précisions sur les différents modes de jeu. Naviguer entre différents documents n’est pas le plus pratique mais l’ensemble est bien présenté, justifié par une thématisation très marquée dans les règles, ce qui fait que l’on comprend bien les différentes attributions. On vous rappellera bien toujours de vous référer au « Règlement intérieur », dont le format plus grand indique son importance, alors qu’un trombone orne les en-têtes des deux autres règles pour souligner leur statut d’annexes.

Les règles de The Loop sont claires, aérées, agrémentées de nombreux encarts venant préciser le fonctionnement des cartes ou un point de jeu. Les dernières pages du « Règlement intérieur » apportent les précisions à connaître sur tous les objets du mode de base et sur les pouvoirs des cartes, tout en redéfinissant la terminologie. On appréciera toutefois l’ajout d’une tuile d’aide de jeu qui rappelle l’ordre du tour et le « jargon » de l’agence. La règle, sans être difficile, comporte des subtilités qui vous impose assez souvent de revenir vérifier un point dans les premières parties. La lecture est fluide et beaucoup d’actions semblent claires grâce à l’écriture particulièrement intelligente de la règle puisqu’elle associe les consignes au développement du thème. De nombreux textes d’ambiance viennent historier les pages et on a même envie de reprendre la lecture en se concentrant sur eux ! On pourrait penser qu’ils risquent d’alourdir la découverte de la mécanique mais la mise en page est bien pensée, avec une couleur et une typographie différente en fonction du type d’informations données (ludiques et thématiques ou indications de règles à proprement parler).

Une fois familiarisés avec le jeu et ses différents modes, des tuiles missions à placer sur le plateau « Quartier Général » redonnent les grandes lignes du mode de jeu choisi.

Passage à la Loope

En regardant de plus près le matériel de The Loop, on ne peut être qu’impressionné par la cohérence graphique de l’ensemble, présente jusque dans les détails. Simon Caruso a donné une unité au jeu dans le style adopté. On pourrait penser que celle-ci passe uniquement dans le trait du dessin mais l’illustrateur réussit le pari de synthétiser tout l’univers de The Loop en trois symboles qui se retrouvent partout sur le matériel : le sablier, le cercle et la brisure. L’ensemble fait sens quand on connaît l’histoire de The Loop. Le temps forme une boucle (qui est la traduction du mot « loop » en anglais), menacée par un savant fou qui créé des failles et détruit l’équilibre de l’Espace-Temps. Le personnage de Foo incarne ces trois idées par son design : la tête du personnage forme un sablier et son monocle représente la boucle. Celle-ci est fendue en son milieu, pour évoquer le détraquement du temps. La boucle est omniprésente dans le jeu, illustrant parfaitement son titre dont le nom en anglais permet de garder le double « O » que l’on retrouvera aussi dans « Foo », écrit ainsi pour jouer sur l’homophonie avec l’adjectif auquel on s’attendrait. Elle entoure les icônes des époques et se retrouvent aux entrées de celles-ci depuis la machine. Elle vient cercler le visage du docteur Foo sur le sac de clones, eux-mêmes présentés sous cette forme circulaire. La boucle se retrouve sous forme de petits détails sur chaque personnage et j’ai notamment adoré les lunettes de Mister Time, chef d’équipe, qui le présentent comme un anti-Foo par la même brisure qu’on retrouve dans leurs verres. Le sablier, lui, est visible dans la silhouette du docteur Foo de l’icône Clones, dans la forme des jetons Sayan Supa Clones, ou au dos des cartes Foo. Enfin, la brisure est partout, sur le plateau central à l’intérieur de la machine, sur l’icône failles, mais aussi au dos des cartes où l’assemblage des couleurs dans le verre brisé illustre le mélange des époques. C’est harmonieux et je trouve que cela va vraiment bien avec le style graphique du jeu et des personnages, très géométriques, comme si le voyage dans le temps déformait les êtres.

Même si l’univers peut paraître chargé, avec ses couleurs et ces lignes très fortes, il est en fait étonnamment clair car l’iconographie est simple et intuitive. Les failles renvoient aux cubes rouges et l’énergie aux cubes verts, l’icône clones se reconnaît à sa ressemblance avec Foo et les époques ont leur propre sigle représenté sur chaque carte qui vient s’ajouter à la couleur spécifique qui leur est attribuée. C’est une bonne idée pour les daltoniens et pour cela compense ce qui est pour moi un défaut des cartes trous noirs : le cadre de celle-ci comporte une aura noire qui vient modifier la couleur habituelle liée à l’époque et la distinction entre la « mondialisation » et la « fin de temps » est moins évidente. En outre, l’icône de l’époque apparaît au dos des jetons clones pour savoir où les placer, ce qui évite une confusion avec le recto représentant un clone qui indique l’époque où le détruire.

Enfin, soulignons le design des personnages, là encore très tranché. Les pions représentent leur silhouette et je trouve qu’ils reflètent la stylisation du jeu – coup de cœur pour Robofinisseur 404 qui me rappelle une reine de jeu d’échecs. J’ajouterais que les personnages font la part belle aux femmes puisque trois sur cinq sont plutôt féminins – je dis « plutôt » parce qu’on peut aussi penser que le jeu botte astucieusement en touche sur les problématiques de genre avec un « robot » et un « moyen ancien », à l’identité plus incertaine.

Le voyage s’est-il bien passé ?

D’époque en époque, d’histoire en histoire…

Le thème du voyage dans le temps a été traité abondamment en science-fiction et on espère donc en découvrant The Loop que celui-ci ne constituera pas une simple toile de fond, oubliée en jouant comme cela arrive souvent. Qu’on se rassure, ce n’est pas le cas, car la mécanique est étroitement liée au thème puisque toute la phase de Foo développe ses déplacements dans une nouvelle époque et son clonage. Le plateau Espace-Temps participe à l’immersion grâce aux illustrations de Simon Caruso qui a su évoquer chaque époque en quelques traits tout en montrant Foo en action à celle-ci : il est sur les billets de banque de l’époque actuelle, celle de la mondialisation, rappelant le règne de l’argent dans nos sociétés contemporaines ; au Moyen-âge, il apparaît sur une fresque au milieu de combattants, tel un dieu omnipotent prêt à changer l’issue de la bataille. Et que dire de cette parodie de la Naissance du Vénus de Botticelli pour la Renaissance ? Cette représentation de Foo à la place de Vénus, reprenant la pose pudique de la déesse, est un coup de génie ! Chaque époque a bien son identité, et cela se retrouve dans les 7 cartes associées à chacune d’elle. L’aube des temps, qui représente toute l’ère pré-médiévale, donc la préhistoire et l’Antiquité, regroupe des références historiques (par exemple avec le bouclier spartiate) et mythologiques de plusieurs cultures (hindoue avec le Trishula de Shiva, shintoïste avec le miroir d’Amaterasu). A l’ère industrielle, vous pouvez ajouter des cartes liées aux scientifiques de l’époque (Pasteur, Tesla, Edison). L’exploitation des époques se retrouvent même dans les contraintes de certains modes, notamment le mode « Ultramachina » pour lequel les textes des cartes ont été écrits avec le souci de correspondre au voyage dans le temps : j’ai adoré les « énergies fossiles » qui font interagir l’ère industrielle et la Préhistoire. Le thème a par conséquent guidé l’écriture des textes et les illustrations.

Toutefois, la richesse thématique de The Loop ne s’arrête pas là. Le jeu est pétri de références à la science-fiction mais aussi à la pop culture ou aux années 80. C’est ce qui fait aussi l’humour du jeu dont on reparlera mais j’ai trouvé passionnant de voir différentes strates dans la thématisation, celles-ci étant mises en évidence par les personnages. Les cinq agents temporels que vous pourrez incarner ont tous leurs spécificités mais celles-ci ne sont pas seulement mécaniques.  Chaque agent vient d’une époque différente et propose une lecture du jeu avec ses propres clins d’œil. Le « livret opérationnel » qui détaille les modes de jeu offre aussi une double page de présentation des personnages. On s’attendrait à découvrir des précisions sur leur pouvoir mais ce n’est pas le cas : aucun élément mécanique, si ce n’est une indication de niveau de complexité de jeu du personnage, n’est mis en avant à cet endroit. A la place, on prend le temps de vous raconter l’histoire du héros et cela permet de lui insuffler une vraie personnalité. La rôdeuse temporelle représente l’univers des eighties, Robofinisseur 404 le monde geek informatique, Mr Time le milieu de l’entreprise. Cztwyzzek, le « moyen-ancien » pourra faire penser à Lovecraft, que ce soit par ses pattes qui rappellent un peu les tentacules de Cthulhu ou par son nom imprononçable, abusant des consonnes. V-Girl, c’est la science à l’état pur, allant des applications industrielles aux recherches quantiques. Les univers de The Loop, comme les dimensions qu’on trouve dans le jeu, sont multiples…

Les personnages sont par ailleurs associés à un deck de cartes de départ qui permet de les découvrir davantage : en effet, les cartes viennent confirmer une mécanique suggérée par leur pouvoir mais décrivent aussi davantage l’agent puisque chacune d’elle renvoie à un élément de sa panoplie (vous trouverez ainsi les lunettes de Mister Time, les bottes de Robofinisseur ou encore la cape de la rôdeuse). On aime les petits détails dans l’illustration qui participent à la thématisation : utiliser le déplacement gratuit d’un personnage vous fait retourner sa tuile et le personnage est alors visible de plus loin, montrant ainsi le mouvement qui vient d’avoir lieu.

… défooraillez gaiement !

Pour détruire Foo, il faut « canaliser et inverser les flux dimensionnels les plus dangereux, voire l’antimatière », « réparer les failles », « percer tous les secrets de l’énergie universelle ». Ces expressions qui apparaissent dans le livret de règles et le thème du voyage dans le temps et du clonage pourraient nous laisser croire que nous avons affaire à un jeu sérieux… l’espace de quelques secondes, peut-être ! Car The Loop est un jeu complètement « Foo » où le vrai maître du temps est l’humour. On s’amuse beaucoup en jouant au dernier né de CatchUpGames devant des cartes improbables (en effet, qui aurait pensé qu’on pourrait contrer des failles temporelles avec un « currywurst périmé » ?). Cependant, cet humour, s’il est parfois juste complètement burlesque, est aussi en partie mordant et c’est là qu’il fait mouche : si les cartes sont relativement sérieuses pour les premières époques, elles présentent des éléments emblématiques de plus en plus loufoques, notamment lorsqu’on regarde de près notre époque (mondialisation) et celle de la fin des temps. La première mélange des références farfelues comme « la cassette VHS maudite » (rappelons-nous l’enfer des cassettes dont il fallait ré-enrouler la bande) et des cartes plus sarcastiques comme le « délocalisateur sauvage » ou le « postiche de puissance » qui présente des accessoires d’un homme politique qui n’accepte justement pas se faire délocaliser actuellement… La deuxième époque, la fin de temps, juxtapose à la fois des cataclysmes, plutôt épiques, comme l’« ouragan temporel » ou le « dôme du tonnerre », et des éléments des plus triviaux dont « la dernière compil’ sur Terre », sur laquelle s’affiche un sourire niais. Les mythes ont disparu, relégués aux époques les plus reculées, alors que le monde actuel devient de plus en plus dingue !

Le jeu constitue en outre une brillante satire du monde de l’entreprise. Elle est partout sur le matériel. Tout d’abord, vous la trouverez dans les règles, puisque Mr Time s’adresse aux joueurs en leur exposant leur mission, tout en évoquant les restrictions budgétaires. Regardez-bien, quand il vous propose quelque chose, vous avez souvent un astérisque avec les fameuses petites lignes en bas du contrat ! La terminologie dans le jeu participe à cette satire avec la « prime d’assiduité » ou l’« archivage des tuiles sabotage ». Les sigles sont nombreux… et ne servent souvent à rien puisque c’est le mot même qui nous intéresse comme « L.A.S.E.R », détournant avec facétie l’abus d’acronymes dans les entreprises. Les objectifs placés à l’intérieur de la boîte vont dans le même sens avec trois documents différents « motifs de promotion », « motifs de licenciement », « plan de carrière ». On trouve à chaque fin de formulaire une déformation d’une formule de politesse habituellement utilisée dans le monde du travail comme « clonialement ».  

D’ailleurs, l’écriture est très fréquemment porteuse d’humour, ne serait-ce que si l’on considère les titres de Foo « ennemi quantique n°1 », « omniscientifique 2000 », « empereur du futur antérieur ». Il permet des détournements avec des références très diversifiées, notamment musicales (devons-nous vraiment parler des « Sayan Supa Clones » ?).

On adhérera ou non à l’humour de The Loop. Oui, ils en font trop. Mais c’est clairement ce qui est bon et qui fait l’originalité du jeu !

Un trajet sans failles ?

On sent que le thème a été à l’origine du jeu et n’a pas été plaqué après coup pour correspondre à une mécanique – ce que confirme d’ailleurs le carnet des auteurs. Le voyage dans le temps a toujours été là et il y a un vrai travail pour assurer la cohérence de The Loop autour du sujet choisi.

Néanmoins, si les cartes du gros deck sont toutes liées à l’époque à laquelle elles se rattachent, le lien entre l’action de la carte et son nom est beaucoup plus ténu. Vous en trouverez toujours quelques-uns, les armes permettant par exemple de repousser ou détruire des clones et le « destrier de combat » ou l’« hoverboard à roulettes » proposant des déplacements. Il ne faut toutefois pas attendre une correspondance permanente et penser que vous saurez quoi faire de la carte simplement à partir de son nom. Les dimensions semblent aussi attribuées de manière un peu arbitraire : elles permettent un équilibre mécanique pour la gestion des loops et pour le mode « centrifugeuses L.A.S.E.R ». Les joueurs qui attendent que tout se justifie par la thématique seront peut-être quelque peu chagrinés mais l’ambiance est tellement forte que je doute malgré tout qu’on puisse l’oublier dans nos actions. J’ai ainsi souvent tendance à modifier le vocabulaire d’un jeu dans lequel je ne crois plus à l’histoire qu’on me raconte et ce n’est pas du tout le cas dans The Loop : je ne lance pas de cubes « rouges » mais continue à déclencher des « failles », je ne me déplace pas à l’époque « violette » mais à celle des « robots ». C’est pour moi le signe d’un pari réussi !

Gros plan sur la machine The Loop

Mais au fait, comment on joue ? Cliquez pour découvrir la règleLa règle est très bien présentée par CatchUpGames dans cette vidéo : je vous laisse aller voir de plus près si cela vous intéresse, elle a l’avantage d’être animée et de donner un bon aperçu des mécaniques. En plus, vous profiterez d’une bande-son rétro-futuriste qui colle parfaitement à l’ambiance du jeu ! https://www.youtube.com/watch?v=Qu-mP5eklag

Un vrai travail d’équipe

The Loop est un jeu coopératif : sauvez le monde du diabolique Foo tous ensemble sous peine de connaître un même sort funeste ! Les auteurs Théo Rivière et Maxime Rambourg nous lancent un défi de taille car l’aventure est rude et exigeante. Le jeu s’adresse à un public averti, qui n’a pas peur de voir Foo lui résister, et il brille par la tension qu’il instaure tout au long de la partie. La grande force de The Loop est de vous forcer à perdre… pour mieux gagner ensuite ! En effet, vous devrez à la fois prendre d’assaut la machine de Foo en la sabotant, grâce à différentes missions, et survivre aux plans terribles du docteur. Celui-ci se déplace et détraque l’Espace-Temps en créant des clones, ce qui engendre des failles. Laisser proliférer les clones sera périlleux car les failles arriveront en nombre plus important et au-delà de trois failles placées sur une époque, celle-ci est aspirée dans un vortex et ne peut plus vous permettre de résoudre un objectif. De plus, vous n’avez que peu droit à l’erreur puisque le quatrième vortex ou le second vortex placé au même endroit entraîneront la dissolution totale de l’univers ! Les joueurs ne savent plus où donner de la tête car on a tendance dans un premier temps à vouloir tout contenir tout en essayant d’avancer dans les objectifs. Mais The Loop vous impose un rythme d’enfer car plus vous tardez à réussir, plus Foo devient coriace. Vous comprendrez vite que tout est affaire de choix dans The Loop et de sacrifices : il faudra accepter parfois de céder du terrain au méchant, de perdre une époque, pour se concentrer sur la réalisation rapide de ses sabotages. C’est malin car l’équipe arrive à la fois à susciter de la frustration chez le joueur et à rendre chaque membre du groupe indispensable pour gagner car le timing est si important qu’on ne peut se permettre de sous-exploiter le moindre tour. The Loop constitue donc un beau challenge, plus élevé que Pandémie, sans atteindre la longueur et la complexité d’un Spirit Island : une partie vous prendra un peu plus d’une heure, sans temps mort !

L’écueil que risque de rencontrer tout jeu coopératif est l’effet leader : un joueur, souvent le plus expérimenté, pourrait prendre l’ascendant sur le groupe et décider de toutes les actions à la place de chacun. Si le phénomène dépend beaucoup des personnes attablées autour du jeu, il est toujours agaçant de se sentir dépossédé de ses choix. The Loop n’échappe pas totalement à ce phénomène mais le minimise grâce à l’asymétrie entre les personnages. Chaque agent temporel dispose en effet d’un pouvoir spécifique qui va parfois le guider dans ses actions, mais aussi d’un paquet de six cartes de départ personnelles, souvent liées à sa capacité. En outre, vous pourrez acquérir des cartes pendant la partie grâce à une composante de deckbuilding et si vous pouvez évidemment vous éloigner de vos compétences initiales pour explorer d’autres façons de jouer, il sera souvent pertinent de suivre une certaine cohérence dans vos choix d’objets. La mécanique du « loop », qui vous permet de rejouer des cartes d’une même dimension, vous poussera fréquemment à sélectionner des cartes de la dimension la plus présente dans votre deck, d’autant plus que, si deckbuilding il y a, il est nettement moins important que dans d’autres jeux car le nombre de cartes qui viennent s’ajouter à votre paquet au cours d’une partie est assez réduit. Chaque joueur va donc tenter de se spécialiser pour apporter sa contribution à la lutte contre Foo. Le fait que chacun dispose de ses cartes limite l’effet leader car il est plus complexe d’avoir une vision d’ensemble sur les actions possibles de tout le monde : au lieu d’aller regarder en détail les cartes du voisin, on aura plus tendance à intervenir en son nom pour exposer ses possibilités et ses idées à ses partenaires. C’est d’ailleurs ce dialogue, qui est la base même du jeu coopératif à mon sens, qui fait tout le sel d’une partie multijoueurs.

Une mécanique bien huilée mais la machine peut s’emballer !

Ce n’est pas pour rien que l’Agence fait passer des tests psycho-techniques avant tout recrutement : on veut mesurer vos aptitudes logiques et votre réactivité car vous en aurez besoin pour préserver l’équilibre de l’Espace-Temps. Le duo d’auteurs va faire fumer vos cerveaux plus fort que les réacteurs de la machine du docteur Foo : The Loop est un jeu stratégique plein de challenge qui vous demandera de réfléchir à tout. Ses règles d’or ? Optimisation et adaptation. Effectivement, le temps est compté avant la destruction de l’Univers et chaque action a son importance. Ainsi, les déplacements sont cruciaux, pour agir aux différentes époques, mais également pour acquérir de nouvelles cartes. Or, il n’est pas simple de se mouvoir dans l’Espace-Temps et vous devrez souvent dépenser une ressource précieuse, l’énergie, pour le faire. Cette ressource est placée sur le plateau et si un joueur l’utilise, les autres joueurs n’en disposent plus s’il n’y a pas eu de ravitaillement. En outre, les loops sont énergivores et il sera important de disposer du carburant nécessaire au bon moment. On s’interroge sur tout dans The loop : que faire à son tour ? Que laisser à ses co-équipiers ? Quelle carte choisir pour optimiser son deck personnel ? En outre, vous devrez réfléchir en fonction des objectifs, qui n’apparaîtront pas dans le même ordre à chaque partie et qui ne sont disponibles que par deux. Il faudra déterminer l’ordre des priorités pour aller plus loin dans la partie. Enfin, surveiller Foo sera essentiel car il rythme la partie et avoir un œil sur les époques qu’il a déjà explorées est l’un des points importants de la stratégie : en fonction de cette donnée, on pourra lâcher du lest, se concentrer sur les missions, ou au contraire tout abandonner devant une menace exponentielle.

Néanmoins, la richesse de The Loop est de ne pas se cantonner à un défi logique. Vous pourrez calculer et anticiper tous vos tours, cela ne suffira pas car Maxime Rambourg et Théo Rivière ont ajouté du hasard en créant la machine de Foo. Celle-ci génère des failles mais surtout, un beau chaos ! Tout d’abord, vous serez dépendants de la pioche, des clones d’une part, et de l’époque du docteur d’autre part, à chaque début de tour. Ensuite, la machine permet de répartir les failles aléatoirement entre trois époques : vous pouvez vous dire qu’il y a peu de chances que vos quatre cubes failles lancés atterrissent sur la même époque qui était pourtant paisible avant cela, la faisant de fait exploser. Mais tout est possible ! La stratégie parfaite que vous avez élaborée peut voler en éclats en même temps qu’une portion de l’Histoire. The Loop n’est pas fait pour les joueurs allergiques au hasard, mais apportera beaucoup de fun aux autres, et ce chaos est fidèle à l’esprit du jeu. Chaque tour de Foo s’accompagne d’une hausse de la tension autour de la table, d’un délicieux effet d’attente et c’est à la fois avec jubilation et appréhension qu’on jette les failles dans la machine. Et quand bien même le docteur Foo vous forcerait à changer vos plans soigneusement conçus, n’est-ce pas ce qui fait l’intérêt du jeu ? C’est en tout cas ce qui fait que chaque victoire s’arrache, alors que vous avez l’impression d’être passé à un cheveu de l’apocalypse.

Exploration de nouvelles dimensions

Vous avez vaincu le docteur Foo ? Gloire à vous, vous aurez une prime exceptionnelle à la fin du mois (assujettie à l’impôt toutefois, ne rêvez pas). Mais ne vous reposez pas sur vos lauriers car Foo est de retour, pour vous jouer d’autres mauvais tours… CatchUpGames et les auteurs de The Loop ont corsé le challenge en vous proposant différents niveaux de difficultés : lorsque vous serez trop à l’aise avec un mode de jeu, vous pourrez modifier la mise en place pour que le début de partie soit moins tranquille. La différence peut sembler anecdotique mais elle pimente déjà bien la partie.

Si malgré cela, vous pensez avoir fait le tour du jeu, l’équipe a pensé à prolonger le plaisir ludique en créant trois modes de jeux en plus de celui de base : les modes « Sayan Supa Clones », « Centrifugeuses L.A.S.E.R. » et « Ultramachina » haussent le niveau d’un cran – ou de plusieurs dans le cas du dernier mode, beaucoup plus ardu – et imposent de revoir sa façon de réfléchir. J’ai beaucoup aimé découvrir ces modes alternatifs qui renouvellent vraiment l’expérience de jeu. Dans « Sayan Supa Clones », des clones spéciaux font leur apparition, difficiles à détruire car plus éloignés de l’époque à laquelle il faut les conduire pour s’en débarrasser. Y parvenir fait naître d’autres clones, normaux cette fois, néanmoins, vous obtenez une belle récompense : une énergie bleue, infinie, que vous pourrez utiliser sans l’épuiser. Elle dope vos tours de jeux et multiplie les possibilités de loops. « Centrifugeuses L.A.S.E.R. » donne vraiment du fil à retordre car des appareils du docteur Foo viennent parasiter vos cartes, les rendant inutiles si elles ne sont pas d’une dimension précise. Le défi se fait encore plus calculatoire, d’autant que les détruire ne sera pas une mince affaire. Enfin, « Ultramachina » semble vous tendre la main de prime abord : plus de hasard dans les déplacements de Foo qui suivra la boucle temporelle. On maîtrise davantage ce qui se passe mais plusieurs événements néfastes sont associés à différentes époques et ils constituent un nouveau facteur à prendre en compte et à prioriser. La rejouabilité est donc énorme puisque la hausse de difficulté existe aussi dans chacun de ces modes de jeu.

Par ailleurs, The Loop dispose aussi d’un mode solo tout à fait au niveau du multijoueurs. Les modifications de règles sont minimes, ce qui ne dénature pas l’expérience de jeu, mais vous aurez un contrôle supplémentaire puisque vous jouerez plusieurs agents. Les personnages ne seront pas utilisés à tour de rôle suivant un ordre immuable mais pourront être employés dès que leur main de cartes sera prête. Si au début de la partie, l’ordre dépend du tirage des cartes de départ, on peut ensuite influer sur celui-ci en attribuant les cartes acquises pendant les tours précédents à l’agent de notre choix. Bien pensé, fluide, je peux affirmer que ce solo fonctionne à merveille après l’avoir testé dans chacun des modes de jeu.

Enfin, vous savez que j’aime quand l’éditeur s’efforce de faire vivre son jeu après sa sortie : c’est le cas pour The Loop car CatchUpGames propose sur Facebook des « quantipuzzles » qui sont des énigmes de manipulation du jeu. C’est sympathique et les textes accompagnant ces petits défis permettent de retrouver le ton de The Loop si le contenu de la boîte vous a donné envie d’en avoir davantage !

Conclusion

Chaque partie de The Loop vous fera prendre des risques : vous ne pourrez pas tout contrôler car la machine temporelle est instable, rebelle. L’éditeur, les auteurs, l’illustrateur, tous ont aussi pris un risque avec ce jeu : celui de proposer un univers graphique et thématique totalement décalé, et de l’assumer jusqu’au bout. S’immerger dans le monde de The Loop, c’est prendre un plaisir « foo », et on sait que ce plaisir est là parce qu’il est à l’origine même du jeu. C’est une franche réussite de cette fin d’année, pas seulement parce qu’il est bon, pas seulement parce que j’ai envie de le ressortir encore, mais parce qu’il marquera les esprits par son identité exceptionnelle. Voilà un jeu qui résistera, j’en suis sûre, à l’épreuve du Temps.

En dehors de la boîte : le savant fou et notre rapport au temps

A l’ère industrielle, The Loop propose d’utiliser « l’ampoule d’Edison » et « le téléporteur de Tesla ». Le jeu mentionne ainsi deux savants importants de la fin du XIXème siècle qui furent aussi les concurrents qui s’affrontèrent dans ce qu’on a appelé « la guerre des courants ». Le choix des objets pour chacun d’eux révèle l’héritage de ces scientifiques : si Edison reste aux yeux de tous le père de l’électricité, Tesla est considéré comme l’archétype du « savant fou » et peut-être de notre docteur Foo lui-même…

Nikola Tesla (1856-1943) fut un homme étrange et fascinant, qui garde encore aujourd’hui une part de mystère. Cet ingénieur, d’origine serbe, naquit une nuit d’orage : sa grand-mère prédit que ce serait l’enfant de la nuit alors que sa mère pensait qu’il serait au contraire celui de la lumière. Cette dernière ne se trompait pas puisque la lumière accompagna Nikola Tesla tout au long de sa vie. Enfant, il souffre de « flashs » lumineux qui lui imposent des images dans sa tête, flashs qu’il finit par dompter en imaginant lui-même ses propres images. C’est dans sa tête que naîtront ses inventions qu’il concrétisera ensuite de mémoire. Après ses brillantes études, Nikola Tesla, polyglotte, détenteur de plusieurs doctorats, commence à travailler pour l’« Edison General Electronic Company » en France, avant de rejoindre Edison lui-même aux États-Unis. Les deux hommes sont proches mais leurs relations se détériorent car ils n’ont ni la même éthique (alors qu’Edison « vend » son courant, Tesla rêve de construire de grandes centrales qui apporteraient l’électricité gratuitement à tous) ni la même vision de l’électricité. En effet, Tesla veut utiliser le courant alternatif alors qu’Edison ne jure que par le courant continu : ce dernier a d’ailleurs cherché à prouver la dangerosité du courant alternatif prôné par Tesla en s’en servant pour électrocuter des animaux… ce qui inventa la chaise électrique.

Mais l’utilisation du courant alternatif ne fut que l’une des nombreuses innovations de Tesla : il fut à l’origine d’un ancêtre du haut-parleur et de la transmission radio. Il fit construire une tour aussi haute que vingt immeubles pour tenter de faire la première transmission radio transatlantique mais fut coiffé au poteau par Guglielmo Marconi en 1901 : sa tour de Wardenclyffe servira alors à des expérimentations électriques puisque Tesla aurait cherché à récupérer grâce à elle l’énergie des éclairs pour la redistribuer au monde.

Nikola Tesla intrigue, pas seulement pour ses inventions, mais pour sa personnalité : c’est un homme de spectacle, qui met en scène devant un public ses créations toutes plus folles les unes que les autres. L’individu est bizarre, plein de TOCS qui l’obligent à compter ses pas, à ne faire des actions que si elles sont divisibles par trois ; il ne dort que deux heures par nuit, parle de ses « visions » pour ses inventions et affirme avoir ressenti la mort de sa mère par télépathie. La fin de sa vie tend à confirmer sa folie : il apparaît comme un vieil homme solitaire vivant dans une chambre d’hôtel sinistre et passant ses journées à s’occuper de pigeons. Néanmoins, la folie de Tesla est aussi dans ses idées qui semblent aussi étranges qu’effrayantes : il affirme avoir capté grâce à sa tour une communication extraterrestre et en déduit que les Martiens cherchent à communiquer avec nous, la Terre pourrait selon lui être fendue en deux grâce à des détonations basées sur la fréquence de la planète, ce qu’il aurait en partie expérimenté, à moindre échelle, en déclenchant un mini-séisme à New-York grâce à un oscillateur, il aurait inventé un « rayon de la mort » à particules, l’arme la plus puissante jamais imaginée avant la bombe atomique. Toutefois, il est aussi à l’origine de « prédictions » qui se sont avérées : il pensait qu’on établirait un « système de communication mondial », grâce auquel on pourrait s’informer n’importe où grâce à un appareil portatif mais aussi échanger des photos ou écouter de la musique ; il imaginait déjà l’ère des robots et avait présenté un automate à la société new-yorkaise, qu’il dirigeait via une télécommande inventée par ses soins ; il affirmait que le monde manquerait de ressources rapidement. Tout semblait incroyable à l’époque et pourtant… Le savant fou est-il dès lors jugé fou car en décalage avec son temps ?

Même s’il a déposé près de 300 brevets de son vivant, Tesla est longtemps resté dans l’ombre, en particulier dans celle de son rival Edison. Pourtant, le savant a connu un grand succès comme personnage, inspirant les auteurs de science-fiction qui ont souvent exploité ses travaux sur l’électromagnétisme et ses bobines pour lui attribuer… une machine à voyager dans le temps. C’est ce que fait en tout cas Christopher Priest dans le Prestige dans lequel Testa s’intègre à merveille au milieu d’un conflit entre deux magiciens, lui qui aimait tant le spectacle : on le présente aussi, par la même occasion, comme l’inventeur du clonage. Il devient un personnage iconique de comics : il est l’antagoniste de Superman et menace le monde avec son rayon de la mort et il apparaît également dans l’univers Marvel avec la série S.H.I.E.L.D. (tiens, encore un acronyme et une super agence !).

Nikola Tesla était-il fou ? Son apport à la science est aujourd’hui reconsidéré et reconnu mais la folie reste dans son sillage puisqu’il alimente également de nombreuses théories mystiques ou conspirationnistes.

Sources et sites consultés pour cet article :

Site de CatchUpGames
http://www.catchupgames.com/
Page Instagram de Théo Rivière :
https://www.instagram.com/theo_sacha/
Page Instagram de Simon Caruso :
https://www.instagram.com/caruso_simon/
Carnet d’auteur de Maxime Rambourg et Théo Rivière et carnet d’illustrateur de Simon Caruso (passionnants à lire !) :
http://www.catchupgames.com/the-loop-le-carnet-dauteur/
https://www.trictrac.net/actus/the-loop-carnet-dillustrateur
Bilan sur l’année 2019 pour le secteur du jeu de société en France, par Olivier Reix :
https://asset.lemde.fr/prd-blogs/2020/04/33c5d650-bilanjeux2019v4.pdf
Podcast C’Ludik, avec une interview de Théo Rivière sur la création de The Loop et notamment le co-autorat avec Maxime Rambourg :
https://www.station-millenium.com/replays/cludik-12-novembre/
Podcast 63/88 auquel participe Théo Rivière, où il est question de création ludique :
http://vaisseauhypersensas.fr/63-88
Pour le « En dehors de la boîte » :
Articles sur Tesla :
https://www.numerama.com/sciences/456165-qui-est-nikola-tesla-le-savant-fou-dont-sest-inspire-elon-musk.html
https://www.kicklox.com/les-7-faits-insolites-sur-nikola-tesla/
https://books.openedition.org/pur/52922?lang=fr
Vidéo youtube de Poisson Fécond : https://www.youtube.com/watch?v=eIL1FzmwVxc
Wiki Nikola Tesla : https://fr.wikipedia.org/wiki/Nikola_Tesla
Wiki Nikola Tesla dans la culture populaire : https://fr.wikipedia.org/wiki/Nikola_Tesla_dans_la_culture_populaire

Je fais partie des programmes d’affiliation de Ludum et de Philibert. Si vous n’avez pas de boutique ludique près de chez vous et que vous souhaitez commander sur l’un de ces sites tout en soutenant le blog, vous pouvez cliquer sur ces images pour y accéder :

2 réflexions au sujet de « Coups Foorés dans l’Espace-Temps : affrontez le docteur Foo dans The Loop »

  1. Merci pour cet article très complet, détaillé et circonstancié ! Que de détails dénichés au détour d’une règle, d’une illustration, que de révélations des idées des concepteurs et éditeurs ! Voilà de quoi apprécier de tels jeux encore plus que pour leur seul plaisir ludique et mécanique.

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