Londres, le dimanche 2 septembre 1666. Un départ de feu dans une boulangerie déclenche ce que l’on appellera le Grand Incendie de Londres : pendant quatre jours, la Cité est ravagée par les flammes et 80% des bâtiments sont détruits. Il va vous falloir reconstruire la ville, la magnifier, pour en faire la capitale anglaise prestigieuse que nous connaissons aujourd’hui. A travers trois siècles, vous rivaliserez d’ingéniosité pour ériger les plus beaux monuments et marquer l’Histoire.
2 à 4 joueurs – 60-90 minutes – A partir de 14 ans – Prix de vente conseillé 32 euros
Age of Steam, Brass, A Few Acres of Snow : voici quelques noms de jeux tirés de l’impressionnante liste de réalisations du designer ludique Martin Wallace, qui illustrent parfaitement l’inclination particulière de celui-ci pour les thématiques historiques. Le sujet de Londres, dans lequel l’auteur vous propose de rebâtir la cité après le Grand Incendie de 1666, n’a donc rien d’étonnant. D’ailleurs, cela ne vous rappelle pas quelque chose ? Paru en 2017 et localisé en France par Origames en 2019, Londres est en fait une réédition d’un jeu de 2010. Nouvel éditeur, puisque Martin Wallace a fermé il y a quelques années sa maison Treefrog Games, nouvel univers graphique et nouvelles règles ! Celles-ci proposent des ajustements bienvenus, fruits de la collaboration entre Martin Wallace et son éditeur Osprey Games. Ce dernier a notamment suggéré la suppression de la map de Londres au profit de cartes districts pour épurer le jeu et renforcer son accessibilité. Alors, le jeu Londres a-t-il, à l’instar de la ville dont il s’inspire, réussi sa propre reconstruction ?
Elegance et sobriété, au service de Sa Majesté
English quality

Londres s’offre au joueur dans un bel écrin, en carton épais, s’ouvrant à la manière d’un livre. On est immédiatement séduit par l’idée originale qui permet de surcroît un déplacement et un rangement facile (pas de risque d’ouverture inopinée de la boîte). A l’intérieur, en plus de la règle sur laquelle vous retrouverez la magnifique illustration de la cathédrale Saint Paul reconstruite, stylisée sous forme de croquis, vous trouverez le plateau central et un thermoformage pour accueillir les différents éléments du jeu. Celui-ci permet de bien ranger les cartes et j’ai apprécié les trois compartiments dédiés aux trois « âges » permettant de dissocier les paquets. On a plus de mal à comprendre les deux emplacements les plus étroits, prévus sans doute pour les différents jetons et pour les pions, car ceux-ci prendront place dans les sachets plastiques prévus à cet effet et ne pourront pas tous être rangés dans lesdits compartiments (il faudra les répartir au-dessus des cartes). L’ensemble reste très pratique et la mise en place est rapide.
Le matériel propose un plateau central, des tokens en carton pour la monnaie du jeu et des pions, cubes et disques en bois. La qualité des éléments proposés est satisfaisante. On peut en dire autant des cartes, d’une épaisseur convenable mais qui ont tendance à s’user un peu rapidement sur les bords (vous avez tout à fait la place dans le thermoformage pour les sleever si vous le souhaitez). Le dos texturé et brillant charme l’œil et soigne la finition. En plus des cartes construction, vous disposerez de cartes districts de grand format ce qui est très appréciable et permet de bien profiter des illustrations réalisées par Mike Atkinson, Natalia Borek et Przemyslaw Sobiecki.
Un jeu au matériel minimaliste, « à l’ancienne »
Vous le voyez, je suis assez factuelle pour décrire le matériel de Londres : c’est qu’en vérité, au-delà de la boîte et des illustrations des cartes tout à fait réussies et soignées, celui-ci n’a rien d’extraordinaire et pourra même sembler trop sobre aux yeux de certains. Je pense pourtant que c’est l’une des grandes forces de Londres : c’est l’un des rares jeux que j’ai achetés ces deux dernières années qui n’a pas cédé à la tentation de la sur-édition.

On sait que les joueurs sont sensibles au matériel, de plus en plus sophistiqué dans les jeux de société : les figurines à gogo, les meeples personnalisés, les bâtiments en plastique peints attirent et j’avoue que j’aurais sans doute adoré manipuler des pions joueurs esthétisés et que les disques noirs en bois représentant cinq pauvres ne participent pas franchement à l’immersion. Néanmoins, grâce à ces choix éditoriaux, le jeu est à la vente pour une trentaine d’euros seulement alors qu’il aurait été facile de flamber pour faire grimper la facture à quarante ou cinquante euros dans cette gamme de jeux. Le rapport qualité-profondeur de jeu-prix est pour moi tout simplement imbattable et je crois vraiment qu’il nous faut un peu plus de choix comme celui-ci, raisonné, dans le monde ludique actuel. Je ronge donc mon frein en pensant aux petits architectes qu’on aurait pu trouver dans la boîte et je prends le parti de me concentrer pleinement sur le superbe travail d’illustration effectué !
Enfin, côté minimalisme, on pourra quand même regretter l’absence de cartes d’aides de jeu : l’iconographie est assez claire quand on a l’habitude mais il faudra dans un premier temps vous reporter au dos de la règle pour vous familiariser avec les symboles utilisés.
La reconstruction en toile de fond
Un thème historique bien présent grâce au maître d’oeuvre Martin Wallace
Londres vous propose de reconstruire la ville après l’incendie de 1666 sur une période d’environ trois siècles. Les trois paquets de cartes permettent une évolution dans la mécanique du jeu, certes, mais correspondent aussi à une réalité historique, ce qui donne totalement corps au thème du jeu. Avec les cartes A, vous serez plongés dans la période allant de l’incendie à la moitié du XVIIIème siècle environ. Une seule carte dans le jeu s’appuie sur un personnage historique et celui-ci a été choisi en fonction de son rôle dans la reconstruction : Christopher Wren est effectivement l’architecte en charge des plus grands projets de la ville et on lui doit notamment la cathédrale Saint-Paul et le monument au grand incendie de Londres. Or, ces cartes sont bien regroupées dans le premier paquet. Celui-ci nous renvoie également au contexte historique de l’époque puisque la carte de Covent Garden nous rappelle que c’est suite à l’incendie que le marché qui s’y trouvait est devenu le plus important du pays, ce qui a posé les bases du futur quartier commerçant. On pourra aussi citer les huguenots qui évoquent les troubles religieux de l’époque baroque.

Dans le deuxième paquet qui couvre la période 1750-1850 environ, on peut voir l’évolution des technologies grâce à la première révolution industrielle, avec l’apparition de l’omnibus. Les cartes proposent de construire des monuments emblématiques de la ville datant de cette époque comme le British Museum, érigé en 1759. On découvre aussi les enjeux sociaux auxquels sont confrontés les Anglais à l’époque grâce à la carte « maisons de travailleurs » puisque ces lieux étaient des hospices assimilables à une assistance sociale aux plus démunis.
Enfin, le paquet C vous invite à explorer la période 1850-1950 : vous pourrez partir organiser l’exposition universelle (Londres est la première ville à avoir accueilli cet événement, en 1851) puis finaliser les travaux du métro qui rentrera en service en 1863. La carte des réfugiés juifs clôt le parcours historique en faisant surgir les souvenirs de la seconde guerre mondiale.
Il y a donc une réelle progression dans les cartes, élaborée à partir de données historiques globalement fiables (la rigueur n’est pas parfaite mais l’esprit des trois siècles est bien représenté). Le jeu s’accompagne aussi d’une réflexion sociale par rapport à cette évolution historique puisqu’il contient 11 cartes pauvres, inégalement réparties dans les trois paquets : il y en a deux dans le paquet A, quatre dans le paquet B, cinq dans le paquet C. Une manière de rappeler que le capitalisme galopant va de pair avec l’augmentation des inégalités ?
Le joueur, un architecte ?
Le travail de recherche de Martin Wallace est bien mené… mais pour le joueur, le thème s’efface, faute d’accompagnement éditorial, et c’est vraiment dommage ! La contextualisation du jeu tient en quelques lignes sur la règle. Je n’ai pu vous donner de détails sur le thème dans la partie précédente que parce que je suis curieuse et que j’ai fait des recherches spécifiques sur les différentes cartes du jeu. Les périodes correspondant aux paquets A, B et C sont celles que je déduis à partir de l’ensemble des cartes, rien ne les mentionne jamais ! Le joueur a donc forcément tendance à oublier le thème : certes, il construit, mais l’Histoire passe en toile de fond et on la laisse de côté. Avec une telle profondeur thématique, je trouve regrettable qu’il n’y ait pas eu une meilleure exploitation au niveau du matériel de jeu : il aurait été intéressant d’agrémenter la règle de quelques exemples pour mettre en évidence la chronologie, voire d’une partie explicative sur la démarche de l’auteur. Dans la règle de la première version de Londres, Martin Wallace décrivait sur toute une page son travail d’auteur et même s’il n’approfondissait pas la dimension historique, je suis convaincue que cela aurait enrichi cette deuxième version. Les jeux présentent de plus en plus fréquemment un court texte, une phrase, au bas des cartes : on sent que l’iconographie a été privilégiée mais proposer ce type d’aménagement aurait contribué énormément à l’immersion.
En outre, la direction artistique a visiblement privilégié l’harmonie visuelle dans les illustrations mais de ce fait, on a l’impression que les bâtiments des cartes pourraient tous avoir été construits à la même époque. Une ligne graphique plus tranchée entre les différents paquets aurait pallié ce problème.
Thématique et mécanique, partenaires de la reconstruction
En revanche, le jeu marque des points dans l’association de la thématique et de la mécanique. Les différentes couleurs de cartes y participent beaucoup. En effet, les cartes marrons montrent des bâtiments économiques et ce sont ceux qui vous rapporteront de l’argent. Les cartes roses, liées à la vie politique, donnent du prestige le plus souvent et quelques livres sterling. Enfin, les cartes bleues appartiennent à la sphère scientifique et culturelle du jeu et permettent de faire diminuer la pauvreté ou de gagner du prestige.
Mais c’est sur la gestion de la pauvreté que l’immersion est la plus forte et parvient à faire ressentir toutes les contradictions des sociétés occidentales. La règle indique qu’on peut défausser de la pauvreté en trouvant du travail aux indigents. Objectif humanitaire, certes. Mais les cartes qui permettent de défausser la pauvreté sont aussi ambiguës et peuvent montrer qu’on cherche à se débarrasser des pauvres, plus qu’autre chose. Les amateurs d’humour noir seront servis puisque vous pourrez défausser des pauvres en jouant les égouts (est-ce vraiment l’endroit où ils vont travailler ?) ou encore le cimetière de Highgate (vous croyez qu’ils deviennent fossoyeurs ?). En prison, en défaussant des cartes, vous pourrez retirer des pauvres de votre réserve et cela vous rapportera même de l’argent ! Dans notre cercle de joueurs, comme nous sommes un peu monstrueux, cette double lecture possible des cartes nous amuse, mais au-delà de cela, je trouve qu’on voit bien le positionnement social de nos États capitalistes qui entretiennent un rapport paradoxal vis-à-vis de la pauvreté. De la même manière, pour le comptage des points final, on notera qu’avoir de la pauvreté, ce n’est pas si grave en fait, tant qu’on en a moins que nos adversaires !

Une technique de construction au cordeau mais une exécution parfois bancale
Mais au fait, comment on joue ? Cliquez pour découvrir la règle.
Londres a brûlé ! Il ne faut pas perdre de temps pour redresser la ville, reloger les habitants, faire repartir l’activité économique. Chaque architecte commence par prendre six cartes en main. On installe le plateau au centre de la table : c’est là qu’on échangera des idées sur les futurs bâtiments. A proximité, placez les districts que vous pourrez acquérir en mettant face visible les trois districts de départ ; installez également les pauvres, l’argent et les emprunts.
A votre tour, commencez par piocher une carte. Puis, vous pouvez développer votre projet urbain en choisissant une carte de votre main pour la placer devant vous. Pour cela, vous devrez payer le prérequis indiqué en haut à gauche si nécessaire et défausser une carte de la même couleur et la placer sur le plateau central. La carte placée devant vous constitue une pile.
Vous pouvez également activer votre projet urbain : parmi les cartes face visibles posées devant vous, suite à l’action développement, choisissez celles que vous voulez activer, en respectant les conditions d’activation indiquées en bas à gauche, et recevez la récompense. Si vous le souhaitez, vous pouvez activer toutes les cartes de votre projet urbain. Certaines cartes indiquent qu’il faut les retourner après leur activation : quand vous l’aurez fait, vous aurez la liberté de reposer une nouvelle carte par-dessus la pile. A la fin de l’activation, prenez une pauvreté par pile devant vous et par carte restante dans votre main.
Troisième action possible : acheter un district disponible, en payant le coup indiqué en haut à droite. Vous bénéficiez tout de suite des gains affichés sur le côté droit : défausse de pauvretés, pioche de cartes, points de victoire… Certains districts ont des effets permanents qui sont mentionnés en bas de la carte : ils sont valides tant que vous n’avez pas racheté un nouveau district. Sur chaque district, une icône précise si celui-ci se trouve au Nord ou au Sud de la Tamise, près du fleuve ou non : cela pourra avoir son importance pour jouer des cartes dans votre projet. Quand vous avez pioché votre district, piochez en un nouveau pour le rendre disponible.
Enfin, vous pouvez piocher trois cartes.
À tout moment, vous pouvez prendre un prêt de 10 livres que vous devrez rembourser 15 livres avant la fin de la partie. Chaque emprunt non remboursé vous obligera à prendre une pauvreté supplémentaire à l’activation de votre projet urbain.
Vous ne pouvez faire qu’une action par tour. Quand vous re-piocherez, vous pourrez choisir de le faire dans le paquet ou sur le plateau central. Le jeu s’arrête quand le paquet de cartes est épuisé par un joueur et que tous les autres joueurs ont accompli un dernier tour.
A la fin de la partie, prenez une pauvreté par carte dans votre main, remboursez vos prêts si possible (sinon, perdez 7 points de prestige par prêt non remboursé), comptez les points de prestige de vos cartes Ville posées devant vous et comparez la pauvreté de tous les joueurs. Celui qui a la valeur la plus basse ne reçoit pas de pénalité, les autres perdent des points en fonction de la différence avec le premier joueur. Vous êtes sacré meilleur architecte si vous avez remporté le plus de points de prestige.
On recrute des architectes expérimentés !
Londres est, par ses règles simples et par sa mécanique épurée, relativement accessible. Toutefois, le jeu demande une gestion rigoureuse des différents paramètres pour espérer l’emporter. Toute l’intelligence du jeu réside dans la tension entre la gestion de la main, celle de la pauvreté, de l’argent et le tableau que l’on construit. En effet, on a envie de construire vite et beaucoup mais activer votre projet urbain vous coûtera très cher si vous avez multiplié les constructions puisque vous devrez prendre une pauvreté par pile créée. Or, quand vous avez posé une carte, celle-ci forme une pile dont vous ne pourrez plus vous débarrasser par la suite. Cela tempère assez vite les ardeurs et vous serez amenés à avancer avec prudence. Toutefois, développer le projet et l’activer sont indispensables pour gagner de l’argent et sans argent, vous ne pourrez plus rien construire au bout d’un moment et vous ne pourrez pas acquérir de districts. Enfin, votre main sera successivement votre alliée et votre ennemie : vous voudrez avoir des cartes pour construire puisque chaque carte posée s’accompagne d’une carte défaussée, mais vous souhaiterez aussi vider votre main avant d’activer le projet car toute carte restante vous vaudra encore… une pauvreté ! C’est très malin car la mécanique vous amène à changer toujours de posture et ce qui est intéressant à un moment de la partie deviendra plombant plus tard. De plus, Martin Wallace a vraiment réussi à mettre la pression sur les joueurs en ce qui concerne l’argent puisque celui-ci se raréfie au fil de la partie alors que nous en avons de plus en plus besoin ! Cela demande donc une grosse planification de la part du joueur.



On n’a pas tous les mêmes outils !
Vu la profondeur du jeu et la rigueur qu’il impose aux joueurs, on regrettera quand même la forte part de hasard présente dans Londres. Elle est, bien évidemment, dans le tirage des cartes mais celui-ci ne serait pas aussi important si les cartes étaient équilibrées, ce qui n’est pas le cas. Certaines cartes sont des moteurs à points de victoire importants et on a tendance à courir après les métros ainsi au troisième âge : si vous n’en piochez pas, tant pis pour vous car votre adversaire ne vous les donnera sans doute pas ! Plus dérangeant, je trouve, plusieurs cartes ont le même coût de mise en jeu et/ou d’activation sans avoir les mêmes effets : par exemple, en défaussant une carte marron, vous pourrez au premier âge mettre en jeu la mercière, le poissonnier ou Covent Garden. Lors de l’activation, ces cartes, pourtant équivalentes en termes d’investissement, vous rapporteront respectivement quatre pièces, cinq pièces ou cinq pièces et deux points de victoire ! Pour moi, c’est une fausse façon d’offrir de la diversité dans les cartes et cela impacte l’interaction puisqu’on pourra facilement choisir la moins forte de nos cartes à défausser quand le choix s’offre à nous.
Il y a évidemment des circonstances qui limiteront ce déséquilibre : l’obligation de défausser une carte de la même couleur que celle qui est placée dans le projet urbain va parfois vous conduire à vous séparer d’une carte forte car c’est la seule de cette couleur qui vous avez piochée en plusieurs tours. Vous aurez quand même choisi la meilleure option qui s’offrait à vous. Par conséquent, les dilemmes en termes de pose ne sont pas énormes.
Surveillez les concurrents…

Il y a beaucoup de finesse dans l’interaction proposée par Londres. Vous n’allez pas détruire comme un sauvage les constructions de vos voisins, l’interaction directe et offensive tient seulement à quelques cartes qui feront perdre des pièces à l’un de vos adversaires ou l’obligeront à prendre de la pauvreté. L’interaction indirecte est toutefois très importante puisque les cartes que vous défaussez vont sur le plateau central et peuvent être piochées par vos adversaires. Il faut donc veiller à ne pas leur laisser une carte trop intéressante. Par ailleurs, trois districts sont visibles et peuvent être achetés par les joueurs lors de leur tour, ce qui créé une concurrence autour de ceux-ci. Avec la pauvreté, l’interaction est à son paroxysme puisque vous perdrez des points en fonction de la différence de pauvreté entre vous et vos adversaires à la fin de la partie : il faut garder un œil sur les réserves des autres pour ne pas être totalement dépassé.
La concurrence sera assez semblable à deux, à trois ou à quatre, ce qui rend le jeu appréciable dans toutes les configurations. Quelques cartes seulement dévoileront tout leur potentiel dans une configuration à quatre joueurs (l’omnibus surtout).
Délais et maîtrise de la construction
Pour un jeu expert, Londres est assez rapide. La boîte indique entre 60 et 90 minutes : comptez en pratique 30 minutes par joueur. A deux, entre habitués, vous pourrez être un peu plus rapides. Le rythme est bien dosé puisque les actions se font au tour par tour et vous n’attendrez pas longtemps avant de jouer, même en cas d’activation de projet. Vous apprécierez de prendre le temps de développer votre projet et aurez l’impression, souvent, d’avoir vraiment construit la ville. Au dernier âge en revanche, la partie peut traîner un peu car le jeu ne vous incite pas à précipiter la fin.
Sur la longueur d’une partie, Londres pèche un peu car il est, à l’usage, trop punitif. L’argent étant le nerf de la guerre, si vous n’avez pas anticipé suffisamment dans les deux premiers âges ou si vous n’avez pas eu – toujours le souci d’équilibrage – les cartes les plus lucratives, vous ne pouvez plus faire grand-chose avec le paquet C qui contient des cartes très gourmandes en pièces. La seule manière de résoudre ce problème d’argent est de faire un emprunt mais non seulement vous le paierez en pénalités de points de victoire in fine mais en plus vous n’irez pas loin avec dix pièces et vous serez obligés d’en prendre plusieurs. L’unique solution : relevez-vous les manches pour assurer dès le début de partie !
Conclusion
Londres est un jeu malin qui peinera peut-être à trouver son public. Les experts pourront lui reprocher le hasard du tirage et le manque d’équilibrage. Ce n’est pas pour autant un jeu familial de par la gestion rigoureuse des différents paramètres qu’il impose. Pourtant, Londres mérite qu’on s’y attarde, pour la beauté de ses illustrations, pour son thème intéressant même s’il n’est pas assez mis en valeur, pour son propos, mais aussi et surtout parce que le jeu ne fait pas dans la surenchère mais nous prouve qu’il est encore possible d’associer simplicité et profondeur.
En dehors de la boîte : London’s burning !
The Great Fire : voilà comment les britanniques nomment l’incendie qui s’est déclenché à l’aube, le dimanche 2 septembre 1666, dans l’arrière-boutique de Pudding Lane de Thomas Farriner, boulanger du roi Charles II. Londres est une ville ardente et les incendies sont tellement fréquents dans la cité au tracé médiéval que les habitants ne réagissent pas tout de suite. Pourtant, la capitale a déjà connu plusieurs incendies très violents, en 1212, puis en 1613 avec l’incendie du Globe Theatre où jouait William Shakespeare et, plus récemment encore, en 1632 : le London Bridge lui-même s’était enflammé, bloquant le passage entre la rive Nord et la rive Sud. Pourquoi l’incendie de 1666 a-t-il été si destructeur ?
La construction même de Londres pouvait faire craindre le pire : les ruelles étroites et les bâtiments à encorbellements (les immeubles opposés se touchaient presque) limitaient le passage et favorisaient la progression du feu. Les couvertures des maisons étaient en poix. Enfin, la surpopulation s’ajoutait à des facteurs aggravants : l’été 1666 fut très sec et la boulangerie de Farriner était située près du fleuve et près des entrepôts dans lesquels étaient stockés des combustibles divers et barils de poudre.
Mais ce sont les dissensions au sein même de la ville qui ont permis le développement de l’incendie. En effet, le lord-maire en charge de la Cité de Londres a retardé un maximum les destructions des bâtiments qui étaient utilisées comme coupe-feux et a refusé l’intervention du roi car la Cité constituait le dernier bastion républicain et la haine des monarchistes y était très présente, quinze ans après la guerre civile. Le feu est devenu incontrôlable. De plus, les londoniens, méfiants, ont accusé les Français, notamment, d’être à l’origine de l’incendie et procédé à des lynchages, alors que la lutte contre les feux à Londres avait toujours reposé sur la participation active de la population à leur extinction.
Le bilan fut terrible. : 13 200 maisons, 87 églises dont la cathédrale Saint-Paul et une bonne partie des bâtiments des autorités furent détruits. Les pertes humaines annoncées sont inférieures à 10 mais les classes moyennes et pauvres n’étaient pas enregistrées et n’ont donc pas été comptabilisées…
350 ans après les faits, en 2016, Londres a organisé le festival « London’s burning » pour commémorer les événements. A cette occasion, l’artiste David Best et Artichoke se sont associés pour proposer une reconstitution de l’incendie au moyen d’une maquette géante de Londres, de 120 mètres de long, représentant la skyline de la ville, placée sur la Tamise. Spectacle époustouflant, dramatisé, pour rendre compte en moins d’une heure des quatre jours que dura l’incendie de 1666. Pour les Anglais, il ne s’agit pas de pleurer le passé perdu mais de célébrer la résilience de leur peuple et l’espoir. Dans la nouvelle cathédrale Saint-Paul, œuvre de Christopher Wren, on trouve des débris de l’ancienne structure, mais celle-ci a été réinventée et les londoniens se tournent vers l’avenir. Le festival « London’s burning » s’ouvre sur les enjeux de notre monde contemporain et sur l’urgence climatique. Ce que l’on veut montrer alors, c’est une communauté soudée pour faire face aux défis modernes et cela commence par les plus démunis : pour leur projet, David Best et Artichoke ont fait appel à la jeunesse et à des gens sans emploi et sans formation pour les initier à l’artisanat. Bravo pour cette belle réalisation.

Sources et sites consultés pour cet article :
Site de l’éditeur anglais Osprey Games (qui fait plein d’autres choses que des jeux) :
https://ospreypublishing.com/store/osprey-games
Site de l’éditeur Origames :
https://www.origames.fr/
Règle de la première version de Londres :
https://regle.jeuxsoc.fr/londw_rg.pdf
Pour les repères chronologiques, je vous invite à consulter les Wiki des différents lieux et événements référencés sur les cartes
Pour le « En dehors de la boîte » :
https://www.intermedes.com/article/708-il-a-350-ans-le-grand-incendie-de-londres.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_incendie_de_Londres
Reportage en direct sur London 1666 de David Best et Artichoke dans le cadre du festival London’s Burning :
https://www.youtube.com/watch?v=o47qgPvXAyU
Page du projet Artichoke pour le festival London’s Burning :
https://www.artichoke.uk.com/project/londons-burning/
Merci de m’avoir lue, j’espère que cet article vous aura plu. N’hésitez pas à réagir en commentaire ! RDV sinon sur Facebook et surtout sur Instagram, si vous voulez découvrir un micro-format « Pas de temps à perdre ! » avec les questionnaires prousto-ludiques.
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Un très bel article pour un jeu bien sympa. Cachons ces pauvres que nous ne saurions voir!
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