Demeter – A vos postes d’observation : dinos en vue !

Depuis Ganymède, le septième satellite de Jupiter, les scientifiques envoient des navettes pour explorer de nouvelles planètes de la galaxie. Ils ont découvert l’existence de Demeter 1, une planète en orbite autour d’une naine rouge, très semblable à la Terre et abritant… des dinosaures ! La mission que l’on vous a confié est simple : en apprendre le plus possible sur ces créatures et leur environnement. Construisez des observatoires, recueillez des fragments d’ADN et étudiez les dans vos laboratoires. Bientôt, Demeter n’aura plus de secrets pour vous.

1 joueur et plus – 20 minutes – A partir de 14 ans – Prix de vente conseillé 27 euros

S’il y a une mécanique ludique qui a le vent en poupe depuis quelques années, c’est bien celle du roll & write. Depuis le vieux – mais toujours plaisant de temps en temps – Yams, on a fait du chemin : si l’on retrouve encore souvent des dés et des grilles à remplir, les auteurs rivalisent d’ingéniosité pour donner un cadre thématique cohérent à leurs jeux et renouveler les sensations des ludistes. Du roll & write classique et parfois abstrait au flip & write dans lequel vous ne lancez plus des dés mais tirez des cartes en passant par le roll & draw, le draft & write et le roll & build, on y perdrait notre anglais mais il y en a pour tous les goûts. Longtemps réservée à un public familial, cette mécanique est de plus en plus exploitée dans des jeux qui se veulent plus « gamers ». C’est notamment le cas dans Demeter, le dernier opus du studio Sorry We Are French et le premier jeu édité de Matthieu Verdier. Le jeu, qui s’inscrit dans l’univers du très apprécié Ganymède, avait fait grand bruit au Festival International des Jeux de Cannes en février 2020 et je dois bien dire que je l’attendais avec impatience : d’une part, malgré l’effet de mode, je suis assez friande du genre et d’autre part, j’étais très curieuse de découvrir une réalisation de l’équipe SWAF dont j’avais toujours entendu beaucoup de bien. Enfin, (faut-il le dire) il y a des dinosaures donc comment résister ? Alors, embarquons sur une navette en direction de Demeter pour étudier les sauriens et le jeu lui-même !

Commençons l’observation

Optimisation du matériel

Demeter apparaît dans une boîte carrée, plus imposante que beaucoup de roll & write, mais tout à fait adaptée au contenu. La taille découle en effet directement du format de la feuille de score sur laquelle vous allez indiquer vos choix suite au tirage des cartes et colorier des parties de dinosaures. Celle-ci est bien remplie et des dimensions plus réduites auraient impacté la lisibilité des différents éléments. Le bloc proposé, composé de 100 pages, correspond à ce que l’on trouve dans la même gamme de prix. Le reste de la boîte est occupé par 75 cartes action que vous pourrez ranger dans un sachet zip, par quelques tuiles et la règle du jeu. Cette dernière est bien faite : elle rappelle clairement les différentes actions par son plan et par un code couleur renvoyant aux différentes cartes et est illustrée par plusieurs exemples afin d’aider à l’assimilation de la mécanique. En revanche, je suis plus circonspecte sur la présence des tuiles objectifs et sur le « plateau » objectif, dispensables à mon sens puisque de simples cartes auraient pu faire l’affaire. Il reste pas mal de place dans la boîte, peut-être pour de futures extensions : dans tous les cas, cet espace supplémentaire peut vous permettre d’accueillir des feuilles de score supplémentaires que le studio met à votre disposition en ligne.

Un bel univers graphique

Les amateurs de représentations réalistes et convenues de dinosaures seront déçus car Demeter explore d’autres lignes visuelles, et c’est d’ailleurs tout ce qui fait son charme et son caractère ! Olivier Mootoo, qui avait déjà œuvré sur Ganymède, s’est associé à l’illustrateur de SWAF, David Sitbon, pour réaliser le design de Demeter. Le jeu s’appuie sur l’esthétique de son grand-frère, ce qui donne une belle cohérence à la gamme, et constitue un vrai régal pour les yeux ! Le style low poly, utilisé d’ordinaire dans les jeux vidéos, colle parfaitement à l’histoire que le jeu raconte. En effet, je trouve qu’il se dégage de ce graphisme une alliance du rétro et du futuriste alors même que Demeter nous ballotte entre un futur évolué dans lequel l’exploration spatiale s’est considérablement développée et notre propre passé avec les dinosaures. En outre, les couleurs froides de la boîte, le vert, le bleu nuit et le violet, m’évoquent la dimension scientifique du jeu mais le low poly créé aussi un beau mouvement, semble montrer un tyrannosaure en marche, un ptérodactyle en plein vol et un diplodocus tournant la tête : il y a de la vie sur cette couverture ! Bref, vous l’aurez compris, je suis conquise. Sur la feuille de scores, on retrouve le style, très épuré dans un souci de lecture, puisque cette fois c’est la silhouette des dinosaures qui fait l’objet d’un dessin géométrique. Le tout forme un ensemble harmonieux et atypique.

Des erreurs de guidage

L’illustration en tant que telle, on l’a vu, est, à mon sens, quasi irréprochable. En revanche, l’iconographie en général et la conception de la feuille de scores rendent vraiment laborieuses les premières parties. La feuille est jolie visuellement mais confuse pour le néophyte. Il y a des symboles partout et on a l’impression d’être saturé d’informations. En vous familiarisant avec les différentes actions possibles, la lecture de la feuille ne posera plus problème mais je dois avouer me référer encore, après de nombreuses parties, à la règle pour les différents objectifs car l’iconographie est peu intuitive (notamment pour les symboles repris et modifiés seulement avec le signe « différent » qui renvoie aux espèces de dinosaures… impossible de m’en souvenir !). Quelques cartes d’aide de jeu, récapitulant l’iconographie, auraient vraiment été utiles, même si j’ai conscience qu’il n’est pas évident pour un éditeur d’en proposer pour ce type de jeu qui n’indique pas un nombre limité de joueurs.

Par ailleurs, on pourra regretter le positionnement terminologique des actions scientifiques/science. La moitié des actions nommées est désignée par des noms assez proches, ce qui n’est pas vraiment gênant quand on joue seul mais peut le devenir lorsqu’on fait des parties avec plusieurs joueurs et où l’on annonce les actions possibles oralement car cela entraîne quelques confusions. Une distinction « scientifiques » / « recherche » aurait été plus évidente (surtout que le bâtiment correspondant à la piste de science est appelé centre de recherche). Cela reste toutefois assez anecdotique.

Une équipe volontaire, pleine de bonnes idées

J’ai décrit assez sommairement le matériel de Demeter qui sera manipulé dans le jeu. Mais le studio Sorry We Are French va plus loin que le simple matériel utilisable : l’équipe propose différents à-côtés très appréciables. Tout d’abord, le jeu venant étoffer la gamme Ganymède – attention, sans constituer une extension pour autant –, vous trouverez à l’intérieur de la boîte six cartes vaisseau de colon exclusives à intégrer à Ganymède si vous le possédez. C’est sympathique et en plus, cela constitue un petit coup marketing car je n’ai jamais testé Ganymède et ne le possède pas, mais cela me donne presqu’envie de l’acquérir !

Mais c’est en dehors de la boîte, sur le site internet de SWAF, que vous trouverez le plus de choses : outre un carnet d’éditeur qui ravira les plus curieux en revenant sur la genèse du jeu et en donnant quelques pistes stratégiques, l’éditeur propose un « bilan de mission » avec différents paliers pour mettre en perspective votre score. Vous pourrez télécharger aussi une feuille de « réalisations » avec des objectifs à cocher une fois atteints : c’est complètement gadget mais j’adore ! C’est typiquement le genre de propositions qui peut selon moi booster la rejouabilité car on a envie de mener à bien tous les défis. Enfin, fin juillet, l’équipe a mis en ligne une mini-extension « Automne » composée d’une nouvelle feuille de score en print and play gratuit – nous en reparlons en fin d’article. On a donc un vrai contenu additionnel si on souhaite pousser l’expérience plus loin…

….et pourvu que l’on en connaisse l’existence. Je mettrais un bémol quand même car cette démarche est très intéressante mais je pense que certaines choses auraient pu être intégrées à la boîte sans surcoût afin de toucher le plus grand nombre. Le bilan de mission pouvait être imprimée au dos de la règle ou à la place des publicités pour les autres jeux du studio (je sais bien que c’est une méthode de diffusion comme une autre mais je n’aime pas trop en général ce type de pages, et cela ne concerne pas que Demeter et SWAF). Il est d’autant plus utile qu’il mentionne l’ajustement de scoring à effectuer en solo alors que la règle n’en parle pas. D’autre part, les réalisations m’ont fait penser aux objectifs de Cerbère édité par la Boîte de Jeu que l’on valide par un système de gommettes sur le pourtour de la boîte… On pourrait imaginer un système comparable sur la boîte de Demeter ou dans le fond de celle-ci. Pour moi, les idées sont donc excellentes mais lorsque les éléments bonus peuvent entrer dans le gameplay, je pense qu’ils auraient contribué à rendre le jeu encore meilleur s’ils avaient fait partie de la boîte.

Etude de l’ADN de Demeter : y a-t-il bien du dinosaure ?

Une étude de dinos plus vraie que nature !

Dans Demeter, vous menez à bien une mission scientifique pour observer les dinosaures, recueillir de l’ADN et l’étudier. Les espèces présentées sur la feuille de score sont les plus connues du grand public, ce qui aide à l’immersion. Chaque carte action s’intègre bien dans le projet global que l’on vous confie. On peut trouver étrange au début de colorier des bouts de dinosaures mais la composition des créatures participe à la cohérence thématique : le nombre de parties à colorier dépend souvent de la masse du dinosaure, les diplodocus étant les plus gros du jeu, et le symbole de patte bleue, le moins fréquemment représenté dans les cartes, se retrouve exclusivement sur les tyrannosaures, les vélociraptors et le ptérodactyle qui sont des espèces carnivores (et il paraît logique que les carnivores soient plus difficiles à observer). Par ailleurs, le nombre d’observatoires et la répartition des observatoires peuvent être corrélés à la dangerosité de l’espèce observée : les tyrannosaures nécessitent des constructions fréquentes de postes d’observation pour continuer le travail ; pour qu’un scientifique se déplace pour observer les vélociraptors, il lui faut déjà au moins un poste pour le protéger ; à l’inverse, les gallimimus, herbivores et pacifiques, pourront être observés par des scientifiques sans avoir besoin, dans l’absolu, de postes d’observation. Le ratio des actions par rapport aux catégories de cartes est cohérent thématiquement : les rouges liées aux observatoires et les jaunes à l’ADN sont celles sur lesquelles il y a le plus de symboles de pattes de dinosaures (ce qui vous permet de les connaître), alors que les bleues des scientifiques et les violettes de la piste de science sont plus polyvalentes car permettent de multiplier les compétences. La conception de la feuille de scores et la mécanique fonctionnent bien avec le thème : sans dire pour autant qu’on se raconte vraiment une histoire en coloriant nos dinos, on apprécie vraiment l’effort fait en ce sens, surtout que l’auteur, Matthieu Verdier, reconnait lui-même attacher plus d’importance à la mécanique qu’à la thématique (cf podcast de proxi-jeux cité dans les sources).

De « Jurassic-Park » à la planète peuplée de dinosaures

Grâce au carnet d’éditeur disponible sur le site, on apprend que le thème de Demeter a évolué. A l’origine, le jeu était séparé de l’univers de Ganymède car vous étiez tout simplement à la tête d’un parc de dinosaures. L’idée a finalement été abandonnée, peut-être parce qu’elle était trop mode, mais la lecture du carnet de Matthieu Verdier me l’a rendue séduisante et très cohérente également : en plus de la création des dinosaures et de la recherche scientifique, vous deviez nourrir les bêtes en respectant les caractéristiques de l’espèce et assurer la sécurité des visiteurs. Demeter aurait vraiment pu fonctionner ainsi.

Au lieu de cela, le jeu a été rattaché à Ganymède. Le studio aime créer des gammes lorsque c’est possible (on le voit avec la suite de Greenville 1989, Paris 1889, prévu cet automne) et le lien était justifié par la présence de dinosaures sur certaines planètes de Ganymède. Soit. Je répète que je n’ai pas joué à Ganymède donc mon avis est sans doute biaisé par cette non-expérience mais je suis moins convaincue par cet aspect de la thématique. Autant, je crois en l’étude des dinosaures, autant le fait qu’ils viennent d’une autre planète qu’on découvre ne me saute pas du tout aux yeux lorsque je joue (je croirais même davantage en un retour dans le temps !). Pourtant, si vous avez aimé Ganymède, vous pourriez apprécier Demeter pour la filiation qui existe, plus que dans la thématique, dans la mécanique entre les deux jeux car le jeu de Matthieu Verdier reprend le système de multiplicateurs présent dans Ganymède.

Recherche et innovation mécanique pour un nouveau plaisir ludique

Mais au fait, comment on joue ? Cliquez pour découvrir la règle.

Demeter se joue en 12 manches. Vous disposez pour mener à bien de votre mission d’étude des dinosaures de 5 actions différentes représentées par 5 couleurs de cartes. Vous commencerez votre partie en écartant 3 des 15 cartes de chaque paquet. Tirez aussi au hasard 4 objectifs que vous placerez sur le plateau des objectifs devant les cases A/B/C/D.

Les différentes cartes

Les cartes bleues sont les scientifiques : les scientifiques sont représentés par des petits meeples présents au-dessus de chaque espèce de dinosaures. Quand vous les coloriez, vous obtenez des bonus qui vous permettront de faire d’autres actions ou des points de victoire.

Les cartes rouges figurent les postes d’observation, nécessaires pour regarder les dinosaures sous toutes les coutures sans dangers. Ils sont représentés par des étages rouges à colorier dans la même zone que les scientifiques. Si vous voulez placer des scientifiques au-delà d’un poste d’observation, il faudra l’avoir complété pour que ceux-ci s’y installent en toute tranquillité. Au-dessus de ces postes d’observation se trouve un chiffre qui sera, en fin de partie, un facteur multiplicateur de points de victoire en fonction du nombre de dinosaures coloriés intégralement dans la zone correspondante.

Les cartes jaunes permettent d’étudier l’ADN d’un dinosaure découvert. A côté de chaque dinosaure, vous trouverez une ou plusieurs flèches jaunes en pointillés, pointant vers des bonus. Quand vous aurez fini de colorier un dinosaure, vous pourrez avec l’action ADN repasser l’une de ces flèches et débloquer éventuellement le bonus correspondant, qui peut être une action ou une façon d’engranger des points de victoire.

Les cartes violettes représentent la piste de science. Celle-ci apparaît en haut de votre feuille de score, sous forme de cases à colorier. En activant l’action, vous pourrez colorier des cases de la piste et déclencher des bonus. Si vous reliez le début de la piste à une ou plusieurs cases notées A/B/C, vous accéderez aux objectifs correspondants.

Les cartes noires sont des jokers déclenchant une autre action au choix.

Tour de jeu

Les joueurs jouent simultanément. A chaque manche, une carte de chaque couleur est retournée et chaque joueur doit choisir l’une d’elle. Les cartes sont divisées en deux parties : la partie du haut indique une action à accomplir, qui peut être l’une de celles mentionnées ci-dessus mais qui peut aussi indiquer de colorier une partie de dinosaure ou de construire un bâtiment accordant des bonus pour le reste de la partie. Le bas de la carte indique toujours l’action correspondant à la couleur de la carte décrite ci-dessus. Quand vous choisissez une carte, vous accomplissez toujours en premier l’action du haut de la carte PUIS celle de la couleur, en coloriant une case de la catégorie de la carte en haut à gauche de la feuille.

Or, si vous examinez la grille en haut à gauche de la feuille, vous verrez en face de chaque couleur, quatre cases action : cela signifie que vous pouvez choisir au maximum quatre fois une même couleur mais aussi et surtout que l’action devient de plus en plus puissante au fur et à mesure que vous la choisissez. Par exemple, la première carte bleue vous donnera un scientifique, la deuxième deux, la troisième trois et la quatrième quatre. Si vous avez sélectionner toutes les couleurs au moins une fois, vous aurez une partie bonus de dinosaure à colorier.

Fin de partie et points

En fin de partie, lorsque les cartes sont épuisées, vous marquez des points si vous avez rempli et activé via la piste de science ou des dinosaures certains objectifs. Vous en marquez également en fonction de vos scientifiques, des études ADN effectuées, de vos observatoires mais aussi si vous avez découvert tous les dinosaures d’une même espèce ou si vous avez découvert différentes espèces de dinosaures en en coloriant au moins un.

Flip & color

Matthieu Verdier reprend, pour Demeter, la mécanique du flip & write, popularisée par Welcome to your perfect home de Benoît Turpin édité chez Blue Cocker. Mais ici, il n’est pas question de chiffres : on vous demande de colorier différentes parties de votre feuille représentant des « bouts » de dinosaures, des bâtiments, des scientifiques, des postes d’observation, de l’ADN… et toutes les actions que vous choisirez. C’est tout bête mais cela fait complètement partie du plaisir du jeu : on a presqu’un aspect « art thérapie » et on se creuse la cervelle pour décider sur quoi porter nos crayons. C’est sympa, cela change et visuellement, à la fin de la partie, cela permet de savoir l’orientation choisie très facilement. Comme vous devez aussi surveiller vos adversaires pour vérifier qu’ils ne terminent pas une espèce avant vous, un seul coup d’œil à leur feuille de score vous permettra de le faire.

Réactions en chaîne dans l’éprouvette

Ce que j’adore dans Demeter, c’est la construction en chaînage de la feuille et la mécanique qui repose sur les facteurs multiplicateurs. Effectivement, sur le papier, vous n’avez que douze tours de jeu c’est-à-dire vingt-quatre actions. Mais vous en ferez beaucoup plus ! Plus vous activez un type de carte, plus l’action sera puissante car elle sera répétée toujours une fois de plus. En outre, les bâtiments à construire vous offrent des bonus lorsque vous effectuez tel ou tel type d’action. Les scientifiques ou la découverte d’ADN débloquent aussi de nouvelles actions. Il n’est donc pas rare de faire 6 à 10 actions par tour, surtout après la première moitié de partie. Le combo est jouissif et stimulant intellectuellement puisque vous serez parfois tenaillé dans le choix de votre carte entre une carte moins performante, qui déclenchera moins d’actions, mais essentielle sur le long terme, et un beau coup d’un tour ! Matthieu Verdier a repris un système présent dans Ganymède et s’est aussi inspiré de Coimbra : c’est une très belle réussite qui donne envie de revenir sur le jeu pour optimiser chacune de ses actions. On se dit qu’en douze tours, on fera finalement beaucoup mais jamais assez, ce qui est à la fois frustrant et générateur d’enthousiasme.

Maîtrise et expertise

A l’origine, Demeter devait être un roll and write, avec dés gravés, mais avec le changement de thème, Matthieu Verdier a aussi modifié la mécanique. Le passage des dés aux cartes change l’esprit du jeu et le rend, selon ses propres termes, plus « gamer » car beaucoup plus contrôlable même s’il reste bien sûr le hasard du tirage. Les trois cartes (sur quinze) écartées en début de partie laissent une marge d’incertitude mais celle-ci est d’autant plus légère que la plupart des cartes des paquets existent en double exemplaire. On peut donc légitimement parier sur la présence de telle ou telle action et celui qui connait bien le jeu pourra anticiper quelques tirages, surtout sur la fin de la partie.

Le jeu est touffu et il est parfois difficile de savoir dans quelle direction partir dans les premières parties mais il est aussi très gratifiant car il propose de ce fait une courbe d’apprentissage importante. Comme tout le monde, je pense, j’aime gagner, mais Demeter est un jeu dans lequel j’ai encore plus envie de dépasser mes précédents scores que de battre mes éventuels adversaires. On a envie de tester différents enchaînements pour grappiller quelques points et peaufiner notre approche du jeu.

Le plus solo des jeux multi

On dit souvent que le genre des roll & write manque d’interaction. Je pense que cela dépend vraiment des jeux mais pour être honnête, si je veux surtout battre mon record à Demeter sans me préoccuper des autres, c’est que… à ce jeu, je n’aime pas jouer avec d’autres ! Bien sûr, la mécanique fait qu’on peut jouer nombreux et il y a la petite course aux points dans le déblocage des espèces mais ce dernier aspect est pour moi tout à fait négligeable. Le différentiel de 2 points ne saurait suffire à orienter une stratégie spécifiquement là-dessus.

Précisons cependant que le manque d’interaction ne me gêne pas la plupart du temps. Je dirais même qu’il pourrait n’y en avoir aucune sans que cela n’entache foncièrement mon plaisir de jouer. Cependant, même si on n’impacte pas du tout le jeu des autres, j’aime au moins regarder ce que font mes adversaires, comparer les techniques et essayer de me situer par rapport à eux. Je trouve que c’est mission impossible dans Demeter et c’est sa grande qualité qui l’en empêche : en effet, les combos qui s’enchaînent font qu’on reste vraiment dans notre jeu et qu’il est très laborieux de suivre en même temps les différentes actions des adversaires (ou alors il faudrait jouer au tour par tour…). On reste donc complètement dans notre coin et on se retrouve souvent à attendre la fin du tour d’un autre joueur en plein enchaînement – pour peu qu’il souffre d’analysis paralysis et qu’il ait hésité entre plusieurs cartes avant de se lancer, ça peut être un peu longuet – sans vraiment pouvoir se rattacher à ce qu’il fait.

Demeter est par conséquent le premier jeu multi-joueurs que je ne joue qu’en solo !

Une extinction inévitable des dinosaures de Demeter ?

Rejouabilité et équilibre… le jeu d’une saison ?

On rejouera à Demeter pour essayer de percer les secrets de la mécanique et trouver une stratégie ultime en s’améliorant encore et encore. On rejouera à Demeter pour remplir la belle feuille de réalisations, très motivante. Néanmoins, je me suis assez vite interrogée sur les limites du jeu, notamment au niveau de sa rejouabilité. La maîtrise qu’il propose fait qu’il est parfois possible, après avoir découvert les objectifs, de se fixer un axe directeur pour l’ensemble de la partie sans être en cela trop malmené par le jeu. Le contrôle est plaisant mais je crains qu’on finisse par apprivoiser les dinosaures de la feuille de scores et que la lassitude s’installe alors…

On cherchera quand même à expérimenter davantage pour trouver des chemins de traverse loin de l’autoroute de la réussite scientifique mais c’est un peu complexe car je trouve le jeu un poil déséquilibré, accordant beaucoup d’importance à la piste de science sans laquelle il me semble très complexe de parvenir à un beau résultat. Matthieu Verdier, dans son carnet d’éditeur, dit que c’est possible mais avoue que c’est moins évident.

Enfin, la gestion des bâtiments me fait aussi un peu tiquer car je sens que la routine les menace tout particulièrement et qu’ils sont, plus que toute autre action, conditionnés au timing du jeu : les bâtiments qui sortent dès les premiers tours auront tout intérêt à être construits pour optimiser la suite des actions alors que ceux du fond du paquet seront de toute évidence rendus obsolètes par leur position.

Vers d’autres observations : un renouveau en Automne

MAIS – et c’est un gros « mais » –, comme s’ils anticipaient ce point faible du jeu, l’équipe de SWAF a vite décidé d’étendre le champ des possibles de cette petite planète. Elle prévoit déjà une extension et a sorti en print and play une mini-extension « automne », constituée d’une feuille de score alternative. Or, celle-ci a su me convaincre complètement, ouvrant de nouvelles possibilités de jeu. En effet, outre son nouveau design, très joli, elle bouleverse un peu l’équilibre tel qu’il est institué entre les actions dans la boîte de base. Les changements proposés sont efficaces et relativise le pouvoir de la science car les objectifs deviennent atteignables plus directement et permettent de se spécialiser davantage. Les cartes valorisées grâce à l’étude d’ADN sont, dans cette version, celles qui étaient absentes sur la feuille de score initiale. La piste des tyrannosaures m’a également semblé mieux dosée. Ce que je vous dis là relève d’une appréciation personnelle et d’un ressenti sur les stratégies et l’équilibre du jeu mais en occultant ces considérations, je me rends compte surtout que cette mini-extension annonce de belles perspectives pour Demeter car on sent bien le potentiel de renouvellement.

Conclusion

Je découvre le studio SWAF par Demeter et le jeu révèle la passion qui anime cette équipe et sa volonté de bien faire et de proposer davantage au joueur. Le flip and write est intelligent, exigeant mais il sait récompenser les efforts du joueur en lui laissant un beau contrôle sur sa partie. J’avais peur de rester sur ma faim mais Matthieu Verdier et son équipe nous promettent d’alimenter l’univers et j’imagine alors consommer Demeter comme un bonbon à différents parfums pour varier les plaisirs ! En tout cas, le jeu m’a mis en appétit car je testerais bien volontiers son grand frère Ganymède.

Note : si le jeu vous séduit, je vous conseille de vite l’acquérir car il n’en reste apparemment plus tant que cela…

En dehors de la boîte : les dinosaures, de la Terre à Demeter…

Des dinosaures sur une autre planète ? L’histoire de Demeter le propose en imaginant une planète à l’IST (Indice de Similarité avec la Terre) très élevé. Cet indice est constitué de 4 paramètres : le rayon moyen, la masse volumique apparente de l’objet, sa vitesse de libération et la température à la surface de l’objet. Cela suffit-il à justifier le développer de la vie et, notamment, d’une vie animale analogue aux dinosaures que l’on a connus ? Quelles furent les conditions qui aboutirent à l’apparition des dinosaures sur Terre et sont-elles reproductibles ?

Les dinosaures sont apparus « tardivement » dans l’Histoire de notre planète puisque les ancêtres directs des dinosaures, qu’on appelle archosaures et qui sont aussi ceux de reptiles comme les crocodiles, auraient vécu il y a 235 à 245 millions d’années, à la fin de l’ère du Trias. Or, la formation du système solaire et des protoplanètes dont la Terre remonte à 4,6 milliards d’années. Mais la proto-Terre était alors loin de pouvoir abriter la vie et encore moins une vie complexe comme celle des dinosaures.

L’apparition de la vie sur Terre est à la fois probablement banale, si l’on se contente d’observer les formes simples, et exceptionnelle lorsque l’on envisage les organismes pluricellulaires. En effet, même si la Terre a joui assez vite de circonstances favorables, grâce à sa fusion avec la protoplanète Teia qui lui a conféré un noyau très dense et donc un fort champ magnétique la protégeant des vents solaires, même si le grand bombardement tardif survenu à la fin du premier âge de notre Terre, l’hadéen, il y a environ 4 milliards d’années, a permis l’apparition de l’eau sur la planète, on était encore loin de l’habitabilité au sens où on l’imagine aujourd’hui ! Dès cette époque, pourtant, alors que la température est encore très élevée, la pression incertaine, qu’il n’y a pas d’oxygène et que la quasi-totalité de la planète est recouverte d’eau, la vie existe. Les premières molécules du vivant, capables de se reproduire toutes seules, sont déjà là, sur un terrain hostile et c’est l’un des arguments utilisés par les scientifiques pour croire en l’existence d’autres formes de vie dans l’univers, du moins de vie primitive, vraisemblablement très différentes de celles qui se sont développées chez nous.

Toutefois, ce n’est qu’il y a 500 millions d’années que sont apparus les organismes évolués avec ce que l’on appelle l’explosion cambrienne. Pour en arriver là, les bactéries et archées initiales ont dû survivre, notamment à la grande glaciation huronienne, et se maintenir pour ne pas casser la chaîne du vivant. Ainsi, bien que la vie simple puisse exister facilement, l’apparition de la vie complexe semble être la conséquence d’une série d’évolutions et de circonstances tout à fait particulières et privilégiées. Mais on repère alors assez vite un corps du vivant composé d’organes fixes, d’une espèce à l’autre, faits pour s’adapter à l’environnement : une bouche pour manger, des pattes pour se déplacer par voie terrestre ou des nageoires sous l’eau. On peut donc en déduire que si, par extraordinaire, les conditions de la vie étaient réunies sur une autre planète, il serait probable de retrouver des schémas corporels similaires à ceux des êtres peuplant la Terre.

Pour autant, pourrait-on y rencontrer des dinosaures ? Rien n’est moins sûr puisque ceux-ci sont le produit d’une nouvelle conjoncture biologique et environnementale. En effet, les dinosaures sont nés après la quatrième extinction de masse qui a supprimé 95% des espèces marines et les trois quarts des espèces terrestres. En outre, ces géants vécurent aux époques du Trias, du Jurassique et du Crétacé, qui se distinguent par leur climat beaucoup plus chaud et un taux de dioxyde de carbone quatre fois plus élevé qu’aujourd’hui, boostant la photosynthèse. Les dinosaures ont ainsi pu bénéficier d’une végétation abondante et haute, ce qui explique en partie leur taille.

En somme, la forme et la composition de la Terre ne suffisent pas à expliquer la présence de la vie et des dinosaures : c’est à la lecture de l’Histoire toute entière de notre planète, avec ses aléas, que l’on peut essayer de comprendre l’apparition de ces créatures. Et si la possibilité de rencontrer des diplodocus extraterrestres séduit, elle reste sans doute un pur jeu de l’esprit.

Sources et sites consultés pour cet article :

Site de Sorry We Are French :
https://www.sorryweare.fr/fr/
Page de Demeter (vous y trouverez les carnets d’éditeur et les bonus liés au jeu) :
https://demeter.sorryweare.fr/
Un podcast intéressant de Proxi-Jeux avec Matthieu Verdier qui revient sur la genèse de SWAF et sur les différents projets, dont Demeter :
https://podcast.proxi-jeux.fr/2020/04/fij-cannes-2020-matthieu-verdier-sorry-we-are-french/
Pour le « En dehors de la boîte »> :
Vidéos d’Arnaud Thiry de la chaîne Astronogeek, en collaboration avec Castor Mother :
https://www.youtube.com/watch?v=TSKJDjqCYpI&t
https://www.youtube.com/watch?v=tzSKzyRfeOU
Sur l’apparition des dinosaures :
https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/dinosaure-apparition-dinosaures-aurait-ete-ultrarapide-61015/
https://sites.google.com/site/leredesdinosaures/apparition-des-dinosaures
https://animalaxy.fr/pourquoi-les-dinosaures-etaient-ils-si-gros/

Merci de m’avoir lue, j’espère que cet article vous aura plu. Et vous, avez-vous testé Demeter ? Attendez-vous avec impatience les extensions ? Retrouvez-moi en commentaire ou sur Instagram ou Facebook pour échanger sur le jeu !

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11 réflexions au sujet de « Demeter – A vos postes d’observation : dinos en vue ! »

  1. Super article ! C’est hyper complet. Ce qui m’attire dans ce jeu c’est son graphisme, clairement, et cette mécanique où il faut savoir choisir les bonnes options pour débloquer les bonus et réussir à avancer de manière efficace. Et tous ces dinos à colorier, c’est trop mignonnet !

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  2. Demeter est à ce jour pour moi le meilleur jeu « papier / crayon » pour expert.
    Il est riche par ses diverses stratégies pour gagner et le hasard est en partie maîtrisable.
    Ses 2 extensions gratuites et notamment Winter ont permis un grand renouvellement.
    J’attends avec impatience Varuna !

    Aimé par 1 personne

  3. Je suis un grand fan de R&W. Et Demeter est tout simplement mon préfère. Riche sans être pénible, exigeant sans être confus, il dénote une minutie incroyable de l’auteur.
    En attendant Varuna, seul susceptible de le détrôner ^^

    Aimé par 1 personne

  4. Je suis un grand fan de R&W. Et Demeter est tout simplement mon préfère. Riche sans être pénible, exigeant sans être confus, il dénote une minutie incroyable de l’auteur.
    En attendant Varuna, seul susceptible de le détrôner ^^

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  5. Je commence doucement mais surement à me plonger dans l’univers du roll&write.
    Les deux indispensables, à mon sens étant Welcome to et Demeter à avoir et ayant déjà le premier, j’aimerai beaucoup que le deuxième le rejoigne 😀

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  6. J’ai déjà eu l’occasion de m’initier à ce type de jeux avec Welcome To et, grâce à ton concours d’anniversaire, j’aimerais beaucoup beaucoup beaucoup m’essayer à Demeter! Il est dans ma wishlist depuis longtemps et un jour il rejoindra ma collection, c’est une certitude 😉

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