Au coeur de la Préhistoire

Pour ne pas vous perdre, vous suivez le cours de la rivière. Le bruit de l’eau accompagne vos pas. Soudain, le barrissement d’un mammouth rompt le calme alentours. Ah ! Vous vouliez vous glisser dans la peau d’un chasseur de la Préhistoire… Voyons voir si l’expérience est à la hauteur de vos attentes !

Paleo : un voyage dans le temps ?

Une fresque préhistorique bien restaurée

« Une nouvelle journée à l’âge de Pierre commence… » Ainsi débute l’aventure de Paleo, si l’on en croît le livret de règles que l’on découvre à l’aventure de la boîte. Il faut dire qu’avec l’archéologue Peter Rustemeyer aux manettes, on s’attend à ce que le thème soit présent et ne constitue pas simplement une toile de fond, très vite oubliée.

Nos espoirs ne sont pas déçus puisque le matériel, les illustrations et les cartes nous plongent en plein Paléolithique. Si Dominik Mayer nous donne parfaitement l’illusion de pénétrer dans la caverne d’hommes préhistoriques pour se réfugier au coin du feu, il évoque aussi subtilement, grâce à la fresque, ce que pouvaient être leur vie : on les voit donc chasser, mais aussi s’occuper du foyer, s’entraider. Les traces de main rappellent celles qu’on a retrouvées en nombre dans les grottes ornées et qui montrent l’investissement de toute une tribu dans l’art pariétal. Mais c’est surtout dans l’écriture même du jeu, dans les noms donnés aux cartes notamment, qu’on ressent pleinement le thème. On rencontre par exemple un bestiaire varié, le bouquetin dans les montagnes, le loup, le sanglier ou l’ours dans les forêts, le crocodile dans la rivière. Ceux-ci côtoient le mammouth et le smilodon, ce fameux tigre à dents de sabre, et on a donc l’impression d’appréhender ce que pouvait être la vie sauvage à l’âge de Pierre. En outre, les fonctions des personnages renvoient à ce que l’on sait du quotidien des homo sapiens même s’il s’agit de « types », un peu caricaturaux car certaines catégories étaient sans doute perméables : le chasseur, la guerrière, la cueilleuse renvoient à la recherche de la nourriture alors que l’inventrice évoque la fabrication des outils même si la fonction en tant que telle semble fantaisiste. L’apparence des personnages, vêtus de peau, portant des accessoires en os, réutilisant parfois des plumes, soulignent la provenance animale de la plupart de leurs ressources. Les fabrications font clairement écho à la Préhistoire : le biface était essentiel et est d’ailleurs présenté comme un des objets de base dans le jeu tandis que la carte « funérailles » propose de construire une sépulture décorée et on sait justement que l’homme de Néandertal, vers 100 000 a.C., enterrait déjà ses morts et qu’au Paléolithique supérieur, les tombes étaient souvent décorées. En revanche, le cromlech, ce site mégalithique que l’on peut aussi bâtir grâce à une carte, daterait seulement de l’âge de bronze… mais on touche là à la limite de l’historicité de Paleo qui ne prétend pas proposer un jeu pédagogique pour enseigner la Préhistoire, mais plutôt recréer une ambiance, jouer avec l’imaginaire collectif (en intégrant par exemple le mythique dodo), pour vous faire vivre son aventure.

Au-delà de la vie des hommes préhistoriques, Paleo conte aussi le rapport de l’Homme à une nature primordiale, sauvage et il réussit à nous embarquer dans l’histoire en nous montrant à la fois la beauté du monde, à travers une « vue magnifique » par exemple, et les dangers qu’il présente. Le jeu fait notamment la part belle au loup, figure emblématique de la férocité, en conflit avec l’Homme pour défendre sa progéniture (« la louve », que l’on voit devant ses petits), par peur (« loup terrifié ») ou parce qu’il est, comme l’humain, tenaillé par la faim (« loup affamé », « loup amaigri »). Franchir un cours d’eau paraît un défi insurmontable, comme le montre le module H « la grande rivière ». La nature est prodigue en nourriture mais celle-ci peut être dangereuse puisque les baies sont tour à tour curatives ou empoisonnées. Le jeu réussit à créer un sentiment d’ambivalence face à la nature puisqu’avant de retourner une carte « montagne », vous ne savez pas si vous tomberez sur un pierrier, si utile pour fabriquer vos outils, ou si vous serez blessé à cause d’un éboulis.

Enfin, les modules de Paleo participent totalement au thème et lui donnent même toute sa profondeur puisqu’on prend alors conscience de la diversité des expériences de vie au Paléolithique : cette période s’étend en effet de 3,3 millions d’années à 10 000 ans avant notre ère. Pendant ce temps, l’Homme a pu connaître des moments prospères, aidé par le climat, mais aussi de plus rudes avec des épisodes glaciaires. Or, les modules renvoient à ces changements en créant plusieurs histoires : grâce aux modules E « héros de la période glaciaire » et F « tempête de neige », l’ambiance change avec la glaciation puisque le feu devient primordial et les cartes montrent que le froid est l’ennemi de tous, Hommes comme bêtes. Un autre module présente les guerrières en pleine défense du village contre des individus belliqueux : on pense alors à la fin du Paléolithique supérieur où la violence se serait développée au point d’engendrer des massacres, et même au début du Néolithique puisque celui-ci est associé à la sédentarisation. Plutôt qu’un portrait figé de l’âge de Pierre, on a le sentiment de parcourir la vie de l’Homme à la Préhistoire grâce aux modules qui, agencés deux par deux, constituent presque des scénarios pour nous embarquer dans l’aventure.

Des outils adaptés à la survie

Paleo est un jeu construit sur un système de cartes : celles-ci, au nombre de 222, sont le cœur du jeu et elles doivent donc aussi relever le défi d’assurer une cohérence entre la mécanique, avec l’action qui se déclenche en jouant la carte, et la thématique.

Pari réussi puisqu’un travail important a été fait pour associer les ressources nécessaires au bon déroulé de l’action et cette dernière : pour finaliser un piège à fosse, on ne s’étonnera pas que la guerrière doive dépenser deux morceaux de viande puisqu’on imagine qu’ils serviront d’appâts. Le raisonnement est analogue pour ce qui est de la fabrication d’objets : pour faire une hache, il faudra utiliser du bois et un biface déjà possédé, qui perdra donc sa fonction première pour être intégré au nouvel outil, plus puissant.

Le nom des cartes aide en fait bien souvent à comprendre l’effet de la carte, en un clin d’œil, puisque la plupart du temps, elles fonctionnent sur un rapport cause-conséquence tout à fait logique. Si vous jouez la « noyade », vous devrez être secourus par un de vos partenaires de jeu via une action d’aide sous peine d’envoyer l’un de vos personnages au cimetière. Il en va de même pour les pré-requis pour accomplir certaines actions : on demandera à votre groupe de l’habileté pour fabriquer des objets, de la force pour tuer certains animaux ou de la perception pour repérer certains butins bien cachés. Les petits changements entre les cartes s’expliquent par l’histoire qu’on lui associe : il vous faudra peu de forces pour tuer le bébé mammouth, davantage pour le vieux mammouth, encore plus pour le mammouth blessé et donc plein de la rage du désespoir et ce n’est qu’avec une tribu très bien préparée que vous vaincrez le mammouth dominant.

L’adéquation entre thème et mécanique va jusque dans l’action de défausser des cartes. En effet, le livret explique que votre paquet de carte représente le temps qu’il vous reste jusqu’à la nuit. Quand celui-ci est épuisé, votre groupe va dormir et ne peut plus jouer avant la résolution des événements nocturnes. Défausser des cartes signifie donc utiliser du temps pour faire une action et le nombre de cartes demandé est encore une fois corrélé à la description de la carte. Ainsi, dans les sous-bois, vous aurez la possibilité de trouver de la nourriture, assez rapidement puisque l’illustration montre justement des champignons sur un tronc, et il ne vous en coûtera qu’une carte, mais vous pouvez à la place décider de rapporter du bois au camp, ce qui devrait vous prendre plus de temps et il vous faudra alors vous séparer de deux cartes. Tout semble donc avoir une raison d’être et le gameplay s’efface donc devant l’aventure.

Vivez la grande aventure !

L’équipe d’un jeu a parfois beau avoir travaillé son thème, fait des recherches, glissé des éléments scientifiques ou historiques, cela ne suffit pas toujours à procurer au joueur une expérience immersive. On ne peut nier toute la mise en ambiance dans Paleo mais, en pleine partie, sent-on vraiment le souffle de l’aventure ?

Dans un jeu vidéo, la question se pose rarement car le thème est partout et de nombreux artifices vidéos-ludiques sont là pour impliquer le joueur, à commencer par les effets de caméra. Devant un paquet de cartes, on peut se demander comment restituer des sensations aussi fortes et faire voyager le joueur. C’est là que Paleo est particulièrement malin, c’est qu’il transforme ce qui paraît être un obstacle à l’immersion, à savoir le paquet de cartes, que l’on voit partout, en un véritable atout. En effet, le jeu propose de prendre des décisions en se basant dans un premier temps uniquement sur le verso des cartes qui constitue un indice de ce que l’on trouvera de l’autre côté. A chaque tour, tous les joueurs piochent les trois premières cartes du dessus de leur paquet et se concertent pour en choisir chacun une qu’ils révéleront. Or, on ne sait jamais sur quoi on va tomber avec certitude : cela génère par conséquent de la tension, puisque retourner une carte est forcément une prise de risques, mais aussi de la surprise. Le plaisir de la découverte est là et la mécanique nous place toujours dans l’attente de ce qui va se passer. On appréhende, on débat, on imagine ce qui pourrait se produire : si une tribu se propose d’affronter un danger, une autre va tenter de trouver une option plus sûre qu’elle pourra laisser de côté au besoin pour aller aider la première.

Et c’est là qu’on bascule vraiment dans l’aventure préhistorique. Les cartes sont finalement très sobres et on finit par oublier la matérialité du jeu pour vivre une expérience ludique narrative. Pourtant, Paleo se garde bien de vous écrire une histoire toute faite mais les tirages successifs des cartes, vos décisions, les découvertes que vous ferez, vont stimuler votre imagination et en discutant pendant la partie pour prendre une direction ou une autre, vous vous forgez vous-même votre aventure.

Ca y est, vous êtes dans l’ambiance ? Restez bien concentrés pour continuer votre aventure.

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